8 février 1971 : Michel Foucault lance le Groupe d’informations sur les prisons
Publié le 8 février 2012 par Les Influences
G.I.P : Des intellectuels s’intéressent à la condition carcérale et à la parole des détenus
Le 8 février 1971, depuis la chapelle Saint-Bernard, l’auteur du déja classique Histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault (1926-1984), se lance dans une déclaration inaugurale, celle de l’annonce de la création du GIP. Trois petites lettres pour : Groupe d’Informations sur les Prisons. Ce manifeste a été co-signé par l’historien Pierre Vidal-Naquet (déjà en pointe contre la torture durant la guerre d’Algérie) et Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit.
Moëlle du manifeste : » Peu d’informations se publient sur les prisons : c’est une des régions cachées de notre système social, une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir, nous nous proposons de faire savoir ce qu’est la prison… Ces renseignements, ce n’est pas dans les rapports officiels que nous les trouverons. Nous les demandons à ceux qui ont une expérience de la prison ou un rapport avec elle. »
Les intellectuels distribuent également un premier questionnaire d’enquête aux avocats et aux familles des détenus, afin que l’on puisse établir la première cartographie des prisons et de leurs exactes réalités. Une enquête est également lancée sur le travail des détenus rétribués 1,50 franc de l’heure pour le compte semble t-il de Pif-Gadget, Dior, Danone ou Citroën.
Dans l’attraction des maoïstes, notamment de la Gauche Prolétarienne, ce manifeste n’est en aucun cas une simple pétition à laquelle se rallient des intellectuels prestigieux tels que Gilles Deleuze, Jacques Rancière, Jacques Donzelot ou Daniel Defert.
« La dimension collective de la lutte ne se fonde pas sur des sujets immédiatement identifiables en termes politiques, mais entrecroise au contraire des subjectivités différentes (professeurs et prisonniers, familles de détenus et assistantes sociales, acteurs de renom et simples citoyens), souligne la philosophe Judith Revel dans un article par ailleurs sans vraiment de recul ( « Sartre-Foucault : on change d’intellectuel » in 68, une histoire collective, La Découverte, 2008). Et la conséquence en est double : d’une part, la lutte produit une subjectivité politique inédite -ce qui désempare le pouvoir; de l’autre, les détenus, dont la subjectivité était très largement réduite à une identification pénale (construction d’un « cas » juridique), spatiale (numéro de cellule) ou administrative (numéro d’écrou), réussissent à se réapproprier leur subjectivité à travers des pratiques de résistance. »
Le GIP rendra compte des mutineries des prisons des années 70 à Melun, Toul, Limoges, Fleury-Mérogis. Un livre fameux sera publié, Enquête dans vingt prisons (Champ Libre, 1971) ouvrant la collection « Intolérable » (4 publications). Ce travail d’information réellement prometteur et percutant ne durera que deux petites années, avant que le GIP ne s’embourbe dans les sempiternelles divisions scissipares de l’extrême gauche.
Depuis la condition carcérale fait régulièrement l’objet de piqures de rappel auprès de l’opinion publique et des politiques telles que, en 2000, le témoignage best-seller de la docteur Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé (Cherche-Midi) ou en 2005, la pétition lancée par Le Nouvel Observateur.