God save the bears
Publié le 9 février 2012 par Vanessa Postec
Premier roman (et deuxième livre) de Benjamin Percy, Le Canyon est un texte nature, social… et très abouti
Benjamin Percy est le genre de type qu’on adorerait détester. Jeune, écrivain, doué, tout bien, en fait. Sauf que ses livres, à choisir, on aurait préféré les signer. Le premier, Sous la bannière étoilée, recueil de nouvelles paru début 2009, comme celui-ci, Le Canyon, roman très nature. A défaut, donc, de les avoir écrits –question d’opportunité, de chance, de talent, d’inspiration ?, chacun tranchera-, on les lit, on les recommande, et on peut même être amené à les relire, ce qui ne serait pas la plus mauvaise idée du moment.
Le Canyon, pour situer un peu le propos, est un roman sur les hommes, les femmes, les enfants, les ours, et les liens étroits qui unissent tous ces animaux-là. C’est un roman sur l’Oregon, la muse herbue de Benjamin Percy. Et sur l’Irak, aussi, sur une sale guerre qui laisse ses vétérans aussi cabossés que leurs aînés du Vietnam. Le canyon est un menu complet avec entrée-plat-dessert : un roman moderne et intemporel, une fable sociale qui se balade entre sphères publique et privée. Voilà pour le fond. Pour la forme, Benjamin Percy renoue avec une vieille recette qui a fait ses preuves : deux -voire trois si l’on se sent l’âme généreuse- intrigues en parallèle, un peu inégales peut-être, c’est du moins le sentiment premier, mais qui se répondent et s’éclairent l’une l’autre.
« Ni Marine ni citoyen ; juste une enveloppe de sang, d’os et de nerfs flottant et tournant dans le vide. »
Reprenons. Intrigue n°1. Un bout de terre encore sauvage, paradis de tout ce qui chasse, pêche, est chassé ou pêché, vient d’être livré en pâture aux appétits des bétonneurs : Paul, vieux bipède mal léché aux méthodes d’éducation très personnelles, convainc alors son fils Justin, avec qui il entretient une relation houleuse, d’y passer un dernier week-end au grand vert, et d’embarquer avec eux Graham, son petit-fils. Bien entendu, Echo Canyon regorge de joliesses insoupçonnées, de vestiges indiens, mais aussi de bestioles en tout genre, des petites comme des grosses, pour la plupart peu amènes avec le genre humain…
Intrigue n°2. Le couple que forme Justin et Karen bat de l’aile depuis la fausse couche de cette dernière : si elle n’était pas inquiète pour son fils, la jeune femme ne verrait aucun inconvénient à l’escapade de son mari. Bien au contraire. Cela lui laissera le temps de déjeuner avec le promoteur immobilier chargé de « civiliser » Echo Canyon. Et de se faire suivre, mais cela elle l’ignore, par Brian, un jeune serrurier croisé quelques jours plus tôt, une gueule cassée rendue à la vie civile après avoir goûté au chant du canon : « Seul. Inapte. N’appartenant ni à l’Irak, ni à l’Oregon. Ni Marine ni citoyen ; juste une enveloppe de sang, d’os et de nerfs flottant et tournant dans le vide. »
La collection Terres d’Amérique, chez Albin Michel, réserve habituellement de belles surprises. Benjamin Percy en général, et son Canyon en particulier n’échappent pas au lot commun, avec son portrait en demi-teinte des Etats-Unis d’aujourd’hui, son sens de la narration, son analyse subtile des relations familiales, et sa maîtrise assez impressionnante d’une langue toute en images. A tel point qu’on ne lui en veut presque plus d’être un jeune écrivain talentueux.