Le Pansori est-il soluble dans l’électro-dub ?
Publié le 9 juin 2013 par Arnaud Vojinovic
Comment Jang Goon fait vivre et invente un futur à l’art chanté traditionnel coréen, reconnu depuis 2003 comme faisant partie du patrimoine immatériel de l’humanité.
En cette fin d’année 2006, le public de la petite salle de concert danse sur les rythmes endiablés du groupe de ska, Kingston Rudieska. Cela fait maintenant deux ans que le groupe composé de neuf membres dont une section de 4 cuivres, enchaine les concerts et gagne en notoriété. Mais ce soir d’octobre, c’est un peu la surprise lorsqu’une chanteuse de pansori[[Selon la définition de l’UNESCO : « Le pansori est une forme d’art dramatique musical exécutée par un chanteur accompagné d’un tambour. Cette tradition populaire, qui se distingue par son chant expressif, son discours stylisé, son répertoire de récits et sa gestuelle, embrasse à la fois la culture des élites et celle du peuple.
Accompagné d’un seul tambour, le chanteur (homme ou femme) improvise, parfois huit heures durant, sur des textes mêlant expressions littéraires érudites et dialecte rural.
Le terme pansori vient des mots coréens pan qui signifie « endroit où les gens se rassemblent » et sori, « chant ». Le pansori apparaît au dix-septième siècle dans le sud-ouest de la Corée, probablement comme une nouvelle expression des chants narratifs des chamans. »]] monte sur scène. C’est Jang Goon, pieds nus. Elle a de l’énergie à revendre, interpelle le public, le fait chanter. A la deuxième chanson lorsqu’elle entonne Arirang, le public est pris au jeu, danse et chante avec elle. Un mariage incroyable entre la chanson traditionnelle la plus chère au coeur des coréens et le ska. Dynamisée par ce succès elle n’hésite pas à collaborer de nombreuses fois avec Kingston Rudieska mais aussi avec des groupes de Reggae comme Windy City. Si en 2007, elle s’auto-produit et sort un album, Ninano (니나노) c’est bien la version ska du titre éponyme de l’album qui marque vraiment son style.
6 ans après Jang Goon n’hésiste pas à faire le bœuf avec Kingston Rudieska et T-Bone. Pentaport Rock Festival d’Incheon, août 2012.
Sous la houlette d’un DJ français, Seafran (Hoarang – 화랑 – pour son nom de scène coréen) et avec quelques membres de Windy City, Jang Goon participe à I&I Djangdan (I and I 장단). La collaboration débouche sur un album, Guidance qui sort en 2010. Dès le premier morceau, toutes les composantes du dub jamaïcain sont en place. La sirène d’introduction, la ligne de basse redoutable et lancinante, la caisse claire qui se détache et éclaircit un rythme lourd, les accords des claviers qui viennent de temps à autre vous réveiller et enrichir la ligne mélodique. Et la voix arrive. Jang Goon rivalise de talents pour y plaquer des mélodies traditionnelles coréennes (même une chanson tibétaine avec une reprise de Rangzen). Et cela fonctionne. Malheureusement l’expérience prendra fin au retour de Seafran en France.

La page web de l’UNESCO consacrée au Pansori relève : « Si le pansori reste l’un des genres préférés parmi les arts traditionnels du spectacle, il a perdu beaucoup de son caractère spontané originel. Comble de l’ironie, cette évolution récente est la conséquence directe des efforts de conservation, l’improvisation tendant à être reléguée au second plan avec l’essor du répertoire écrit. En fait, peu de chanteurs sont encore capables d’improviser et le public est moins sensible à la créativité spontanée et à la langue du pansori ». Ninano Nanda et Jang Goon en sont le parfait contre-exemple.