Influences (n. fem. pluriel)
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Charlie Hebdo, une histoire française de la liberté

Publié le 29 janvier 2021 par

L’historien Christian Delporte remet en perspective la vie tumultueuse de la liberté d’expression en France à travers un demi-siècle du journal.

Charlie Hebdo. La folle histoire d’un journal pas comme les autres, Christian Delporte, Flammarion, 350 p., 23,90 €. Paru octobre 2020.
Charlie Hebdo. La folle histoire d’un journal pas comme les autres, Christian Delporte, Flammarion, 350 p., 23,90 €. Paru octobre 2020.
PRESSE. Écrire sur Charlie hebdo pour son premier demi siècle n’était pas aisé. L’historien Christian Delporte propose une très belle mise en perspective de l’hebdomadaire en décrivant l’humour et le tragique mêlés de ce journal d’amoureux passionnés de la liberté. Trois grandes périodes marquent cette histoire: les années de formation entre 1960 et 1980, les années de renaissance de 1991à 2005 et enfin les années tragiques depuis 2006. L’auteur ne cache pas son empathie pour le journal : il en est lecteur depuis les années 1970

Comme pour toute bonne histoire, il existe un récit des origines. Charlie n’est pas né en 1969. L’esprit Charlie se forme en 1960 à partir d’Hara-Kiri. Le journal lancé par François Cavanna et Georget Bernier, qui devient vite le professeur Choron. Déjà, le mensuel attire les jeunes dessinateurs talentueux : Cabu, Gébé, Wolinski ou Reiser. Christian Delporte dresse un portrait enjoué et sympathique de cette fine équipe. Censuré à plusieurs reprises c’est le dernier coup de ciseaux de Dame Anastasie qui engendre la naissance de Charlie en 1970 après «  un bal tragique  » dans la France périphérique… Premier blasphème : on ne touche pas impunément à la mémoire du général de Gaulle. Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, aura été involontairement le père de la transformation spectaculaire du journal. Charlie rejoint le fond de l’air rouge, mais surtout noir des années 1970. Delporte évoque les crises qu’a traversé la première version du journal. Ces années ressemblaient à une espèce d’assemblée générale nanterroise permanente. Elle est la traduction du gauchisme – au sens d’antiléninisme – ambiant dans lequel vivaient les dessinateurs et les rédacteurs. Les engueulades existaient. Mais quand il s’agissait de faire la une, tout le monde se réconciliait et parvenait à un consensus en publiant un dessin salace, en général confié à Wolinski. L’équipe accompagne les combats culturels des années 1970 : l’écologie sociale, l’antimilitarisme, la critique de la société de consommation et la «  beaufitude  » toutes générations confondues. Ils sont rejoint par Siné courant 1974. Lui apporte une nouvelle touche au journal dans la palette déjà riche de l’humour « coup de poing dans la gueule ». Un peu plus tard, de nouveaux chroniqueurs «  de luxe  » font leur apparition comme l’écrivain et pape du polar français Jean-Patrick Manchette. Mais, Charlie est moins dans l’air du temps. Des attaques diffuses tentent de le faire passer pour antisémite. Surtout le journal ne touche plus qu’un public de convaincus qui se réduit au fil des numéros. L’opération accompagnant la candidature de Coluche, Charlie Matin, se termine dans un gigantesque grand bide.

Charlie a vécu dix ans. Il renait presque dix ans après. La deuxième période de son histoire s’articule autour de sa renaissance. Le nouveau Charlie s’enrichit de nouveaux talents comme Tignous, mais prolonge le premier, y compris dans son œcuménisme, si l’ont peut s’exprimer ainsi pour des anticléricaux aussi radicaux. Il s’agit d’une gauche composite très libertaire, qui peut aussi demander à François Mitterrand d’écrire dans le journal. Hétéroclite, c’est ce qui se caractérise l’esprit du journal avec la cohabitation joyeuse entre tous les dessinateurs. Delporte montre bien que Charlie est aussi un creuset : les nouveaux crayons y font leur premiers traits tels Luz, Charb, Riss ou Catherine.

L’ esprit se lézarde dans plusieurs polémiquess souvent liées à des personnalités tranchées et à certaines prises de position politique de Philippe Val. Une première crise a lieu à bas bruit suite à l’arrestation de Patrick Font pour acte pédophilie. Val ne souhaite pas que le journal évoque son vieux complice de chansons, sa première vie. Les polémiques suivantes prennent plus d’ampleur, notamment autour de la guerre en ex-Yougoslavie, du vote au référendum de 2005 et de l’accusation d’antisémitisme de Siné – qui a été blanchi depuis et Charlie condamné pour licenciement abusif.
Delporte bat en brèche les théories victimaires prétendant que Charlie ne s’en prendrait qu’au pauvre islam. Les intégristes catholiques sont ceux qui ont intenté le plus de procès à Charlie. Le journal, qui a été en première ligne dans le soutien à l’écrivain Salman Rushdie, victime d’une fatwa, a depuis le début des années 1990 dénoncé les barbus fanatisés et autres idolâtres réactionnaires et sanguinaires, et soutenu les dessinateurs algériens particulièrement menacés. La dénonciation des tentatives de censure des caricatures de Mahomet ne pose pas le moindre problème à une rédaction bouffant autant de rabbins ou d’imams que de curés. Charlie s’est retrouvé en première ligne des débats les plus frontaux, même s’il n’a pas été le seul à publier les caricatures (France Soir le fit avant lui, et son rédacteur en chef fut remercié par l’actionnaire égyptien). Même vainqueur dans les prétoires, le procès rumoral de Charlie Hebdo pour irresponsabilité sera, lui, sourd mais permanent.

Après la victoire au procès, confirmée en appel, et le départ de Philippe Val, il n’y a plus réellement de crise interne au journal. Charlie Hebdo est animé par des dessinateurs, et non plus des éditorialistes et des journalistes, Charb et Riss poursuivent l’esprit de l’hebdo avec son côté AG permanente qui perdure. Charlie est solidaire mais solitaire. Il est devenu un journal de libertaires sous protection policière, comble de l’ironie si elle n’était devenue tragédie. Le journal est régulièrement menacé, puis ses locaux sont incendiés en 2011. Les attaques, toutes tendances confondues, pour irresponsabilité s’ajoutent aux menaces de mort proférées par les fous de dieu. Dans ce concert de menaces, les rois de la dialectique, que les dessinateurs de Charlie soient libres sous haute protection ou morts, viennent ajouter leur leçon de «  QI de poisson rouge  » pour reprendre la formule de Riss, en défendant la « religion des opprimés ». Les docteurs ès damnés de la terre ont oublié que c’est d’abord la religion qui opprime.

Pour conclure, laissons la parole à l’auteur de cette belle biographie soulignant le pacte et le fil qui unissent Charlie à ses lecteurs les plus fidèles : «  continuer à vivre et à rire malgré les morts, malgré la souffrance, malgré le chagrin […] une aventure humaine et intellectuelle, lancée voici presque cinquante ans par des bricoleur de génie, des artisans inventifs. […] ils avaient soif de liberté  ».

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