Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Les messes décoloniales de Sainte-Netflix

Publié le 24 février 2021 par

En décembre, Netflix a sorti son blockbuster de Noël, The Prom, remarquable non seulement pour sa réalisation parfaitement minutée et les performances spectaculaires de son casting 5 étoiles (Nicole Kidman, Meryll Streep, James Corden), mais surtout pour ce qu’il révèle de l’entreprise idéologique de la firme californienne. Le film est réalisé par Ryan Murphy et ce n’est pas anodin : le réalisateur derrière les séries phénomènes Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Hollywood ou encore Pose, est un pionnier des castings et story-lines « inclusifs », véritable machine à broyer, déconstructionniste et sans concession, des stéréotypes les plus éculés du Hollywood « patriarcal » – et c’est en général assez jouissif. Son contrat tout récemment signé avec Netflix est le plus « gros » de l’histoire de la télévision. Pourtant, dans The Prom, son dernier opus, quelque chose s’enraye, volontairement ou non.

L’histoire est celle d’une bande de stars de Broadway sur le retour et en mal de buzz qui part en croisade dans l’Indiana (un red state s’il en est) afin d’aider une lycéenne lesbienne exclue du bal de promo en raison de son orientation sexuelle (et parce qu’elle souhaite y assister avec sa girlfriend). On est bien là, il faut le comprendre, au cœur de l’actualité politique US et de la déchirure « civilisationnelle » entre démocrates et républicains, et plus encore, entre les fameuses « élites côtières » médiatico-créatives et les supporters de Trump : c’est bien sur le sujet de l’inclusivité (les toilettes « gender-neutral », notamment dans les lycées, et le racisme) plus que sur des questions économiques que les deux camps se sont déchirés. Le pitch de The Prom est donc tout sauf anecdotique.

The Prom : demandez le programme inclusif.

Le film s’ouvre sur un morceau assez hilarant où lesdites stars débattent du bien-fondé de leur croisade et se mettent en garde elle-même : il ne s’agirait pas d’avoir l’air trop opportuniste, se disent-elles et ils, ni d’aller donner des leçons de morale hypocrites à ces cul-terreux rétrogrades dans le seul but de booster notre ego et notre côté sur Instagram ! Là, on jubile, et on se dit qu’on va avoir droit à une régalade de boulets rouges sur l’hypocrisie du star system autant que sur la bigoterie des conservateurs, comme dans le génial Team America. Sauf que, à partir de là, la mise en garde tient finalement lieu de programme : bien sûr, de temps en temps nos stars se font gentiment vanner, mais elles (et le film) finissent par faire exactement ce qu’elles craignaient, et ce sans aucun second degré – les locaux (à part le directeur black de l’école et la jeune lesbienne) sont tous d’indécrottables attardés auxquelles « l’élite » new-yorkaise inculque, littéralement et sans la moindre délicatesse, la tolérance uni-directionnelle. Remplacez l’Indiana par, au hasard, le Nigéria (où l’homosexualité est passible de jusqu’à 14 ans de prison et où des « chasses à l’homo » ont régulièrement lieu) ou par un quartier à majorité virilo-salafiste, et imaginez la grogne décoloniale. La preuve que Ryan Murphy a abandonné toute distance critique avec son message : le film se termine sur le bal « inclusif » organisé par la troupe, véritable défilé très Benetton de tous les gamins un peu « freaks » du coin (emos, gays, lesbiennes, trans, obèses…). Il ne s’agit évidemment pas pour moi de désapprouver le message inclusif – je suis le premier, et à titre très personnel, à appeler de mes vœux l’amour pour tous. Mais il est pour le moins étrange qu’un film qui semble conscient des dérives sentencieuses de la bien-pensance finissent par s’y vautrer joyeusement. Le plus ironique dans tout cela est peut-être que James Corden, qui joue le « gay » de Broadway en croisade pour la tolérance, s’est fait allumer sur Twitter par les gardiens du woke pour sa performance un peu trop « follasse », qui « renforce malheureusement les stéréotypes sur les gays », et ce d’autant qu’il est hétéro – pourtant, Corden est comme ça au quotidien, et c’est pour ça qu’on l’aime. Mais la culture woke n’est pas à une contradiction près.

Tout ça pour établir que Netflix ne se cache plus d’être une machine de propagande woke, pour le meilleur (renforcer l’inclusivité) et pour le pire (adhérer sans la moindre distance critique à l’idéologie décoloniale et faire passer le virtue signalling* pour de l’audace créative), et en arriver à Lupin, la série Française starring Omar Sy, le plus gros succès de la plateforme depuis sa création, y compris aux US, où elle a été n°1 des visionnages deux semaines après sa sortie, et où même la grande Sharon Stone s’est fendue d’un tweet enthousiaste. On devrait s’en réjouir, mais la série, qu’on a trouvé par ailleurs plutôt poussive sur le plan de la réalisation, laisse un goût amer pour qui n’adhère pas sans hésitation à la nouvelle doxa décoloniale. Sur Facebook, un commentateur rageur la résumait ainsi : « pauvre gamin noir contre vilain riche blanc ». Et c’est hélas bien le propos de la série, qui tend à légitimer le pillage des richesses publiques et privées au prétexte que toute propriété est un vol, mais surtout que toutes les richesses de la France et des Français seraient inséparables du passé colonial, de la spoliation de l’Afrique et de l’esclavagisme, raccourci pour le moins ennuyeux.

Omar Sy dans Lupin, la nouvelle sensation Netflix en France et un petit catéchisme des théories décoloniales.

À nouveau, il me faut préciser ici que je ne suis en rien un bigot qui ne supporterait pas qu’un film se mette du côté des voleurs, gangsters et brigands – ce serait faire insulte à l’histoire de la cinéphilie. Mais je préfère l’ambiguïté (ou la sidération) morale d’un Peckinpah, Carpenter ou Scorcese à ce genre de pensum manichéen. Il est frappant par ailleurs que, dans la série, tous les Blancs sont des « méchants », et réciproquement – on renverse ainsi le racisme de Hollywood (ou de la caricature de Hollywood qu’ont en tête les scénaristes), et on se dit que c’est vraiment une concession sympathique des créateurs de la série d’avoir laissé un Noir dans le rôle de l’un des méchants, sans quoi le renversement eût été vraiment trop grossier. Netflix, qui est pourtant l’aboutissement de plusieurs siècles de patriarcat blanc, qui est en soi une énorme entreprise de formatage culturel, impérialiste et capitaliste à outrance, semble décidément soucieuse de nous convaincre qu’elle est du bon côté de l’histoire, et finira sans doute par retirer de sa plateforme tous les films « problématiques », les remplaçant par des succédanés « idéologiquement purs » – comme Stranger Things a remplacé les films de Carpenter dont il s’inspire, en les vidant de leur substance libertaire. On rejoint là l’analyse d’Isabelle Barbéris, qui déclarait ici que « l’ultra-gauche décoloniale est toujours la meilleure alliée de l’ultra-libéralisme ».

La Reine des neiges II : Disney décolonise sec, lui aussi.

Si vous croyiez que le phénomène ne concerne que Netflix, détrompez-vous. La Reine des Neiges II « décolonise » elle aussi Disney : le film raconte comment le royaume Blanc a exproprié puis massacré les « natifs » de la forêt ancestrale afin de construire un barrage lui assurant sa prospérité, puis maquillé l’histoire en rendant les « natifs » responsables de leur propre disparition. Dans Les Trolls 2, autre grand succès, chez Dreamworks cette fois, on explique que la Pop Music a tout volé à la musique Noire, sans jamais honorer sa dette. Dans les deux cas, tout finit dans la réconciliation et les accolades, mais la messe décoloniale a été dite. Sur HBO, la série Watchmen réécrit l’histoire des super-héros créés par Alan Moore pour nous apprendre que le premier Hooded Justice était Noir, mais que l’Amérique raciste l’a effacé de l’histoire et remplacé par un héros Blanc.

Finalement, la manne identitaire et communautaire est bien le rêve de la « segmentation » marketing – chacun bien dans sa case –, et l’on reste songeur à voir Édouard Louis, l’égérie des luttes intersectionnelles, se réjouir de signer un contrat avec Netflix pour l’adaptation de ses romans. Et en attendant que puissent rouvrir les cinémas de quartier, on se demande où l’on trouvera, à l’avenir, la vraie liberté.

*Phénomène des réseaux sociaux. Selon Delphine Le Goff, dans Stratégies du 20/11/2020, « le journaliste britannique James Bartholomew est censé avoir employé le terme pour la première fois en 2015 dans le magazine politique The Spectator, dans une forme 2.0 de l’expression «Holier than thou » [plus saint que toi]. Sa traduction française, la vertu ostentatoire, renvoie à une attitude immémoriale, que l’on peut rapprocher de la tartufferie : un affichage excessif et hypocrite de sa grandeur d’âme ».

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