Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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La laïcité n’est pas là pour juger mais pour protéger

Publié le 20 avril 2021 par


Par Michel Joli

Michel Joli est secrétaire général de la Fondation France libertés Danielle Mitterrand et administrateur chargé de l’international de la Fédération Léo Lagrange (éducation populaire). Ancien médecin en chef des armées, en charge de l’action humanitaire au ministère de la Défense (1981-1984), iIl est l’auteur également d’un essai, La Fraternité globale (Érès, mars 2021).


Déjà la science depuis Copernic avait trouvé, non sans mal, le chemin de son indépendance par la libération de la curiosité scientifique constamment censurée par l’Église. La Réforme protestante, puis le siècle des Lumières et l’affirmation des idéologies matérialistes portées par les valeurs de la Révolution française, par la reconnaissance des droits de l’homme et enfin par les principes républicains, consacrèrent l’esprit laïc. Le principe politique de laïcité a pris forme alors en 1905 avec la loi de séparation des Églises et de l’État pour protéger la République d’un risque de contrôle de la puissance publique par l’Église catholique. La loi a établi en outre la liberté de conscience qu’elle protège dans la mesure où son exercice n’apporte pas de troubles de l’ordre public. Excluant par principe toute confrontation directe avec les religions, la laïcité est devenue le symbole protecteur de la citoyenneté et celui d’une démocratie libérée de toute influence religieuse. À ce titre elle garantit le libre exercice des cultes et la neutralité des lieux publics, l’interdiction de toute ostentation religieuse à caractère provocateur, le libre accès pour tous aux services publics et à l’École publique, enfin la soumission des fonctionnaires et assimilés aux principes édictés par la loi. Ces dispositions forment un cadre normatif indispensable qui pendant longtemps a reçu une adhésion quasi unanime des citoyens. De ce fait, la loi de 1905 est devenue une disposition déterminante du contrat social qui garantit l’alliance de la liberté de conscience et de l’égalité devant la loi conformément aux dispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Cependant, et malgré ses intentions civiques, tolérantes et pédagogiques, une forme d’arrogance faussement démocratique a conduit la laïcité à franchir les limites de la protection républicaine en s’opposant délibérément au principe de fraternité et en figeant toutes possibilités de débat sur la spiritualité, comme si le peuple devait s’en détourner comme d’une chose obscène. Bannies du discours public, la spiritualité fut récupérée par les partisans du fixisme religieux, fidèles à des dogmes inamovibles et adversaires de la libre pensée : fondamentalistes religieux, extrémistes de droite et de gauche et leaders d’opinion régressifs. Pour eux, le rejet du « prêt à porter » des croyances collectives est synonyme d’un retour à une forme de barbarie, voire à un crime qui appelle une sanction exemplaire. Les attentats terroristes en sont la dramatique démonstration.
En revanche, il est indispensable de protéger et de développer une spiritualité de l’intime qui permet à chacun de croire librement à ce qui lui plait. Jusqu’à plus ample informé, la spiritualité est un propre de l’homme et la matrice de toutes les cultures. À ce titre, il faut lui assurer une totale et absolue reconnaissance afin de donner à l’« inter-spiritualité » toutes ses chances de métissage, et d’échapper à une forme d’immobilisme culturel. Il n’y a pas de spiritualité inamovible et éternelle mais l’intelligence humaine à besoin, par souci de cohérence, d’une représentation de ce qu’elle ignore et qui définit le champ de ses conquêtes futures. C’est valable pour chaque être humain. Il n’y a pas, ici, ceux qui croient et, là, ceux qui ne croient pas, sauf pour ceux qui trouvent utile de diviser la société humaine avec une magnifique occasion de s’entre-tuer. Croire est une nécessité d’hygiène mentale individuelle que seuls les humains éprouvent mais il n’est cependant pas nécessaire de croire de façon grégaire aux mêmes choses pour combler le champ de notre ignorance. C’est ainsi que nous apportons aux pouvoirs en place une légitimité hypocrite de gardiens des vérités collectives.
Là aussi, comme partout dans le monde vivant, la variété est une obligation vitale. Parfois, une croyance émerge et se développe – car l’air du temps lui est favorable – ; elle bénéficie alors d’un « avantage évolutif » sur les autres et devient à son tour collective et dominante. Puis les changements du cours de la pensée humaine viennent un jour provoquer son déclin au profit d’une nouvelle croyance.

Cessons de croire que la croyance dominante a pour destin d’être éternellement crue…
Cela ne correspond pas vraiment à une opposition car, croyants ou non, nous découvrons aujourd’hui les limites du vivre ensemble planétaire menacé par l’épuisement des ressources naturelles et des biens communs du vivant, par la réduction dramatique de la biodiversité, par la démographie et le changement climatique qui lui est associé et qui font de l’humanité une espèce menacée comme tant d’autres. Cette situation dépasse de loin le champ d’application de la laïcité, voire celui de l’humanisme, et risque même de créer une opposition idéologique entre le principe universel de fraternité et celui, étroitement hexagonal, de laïcité.
Pour la première fois dans son histoire, l’humanité est menacée par un risque majeur commun pire qu’une guerre. Il faudra nécessairement l’affronter en commun, trouver les voies et moyens d’une mobilisation mondiale et, surtout, ne pas ajouter au principal des risques secondaires en rapport avec nos divisions ethniques, culturelles, économiques, politiques et religieuses. C’est ce qu’Edgar Morin appelle la « communauté de destin ».

La priorité de la laïcité aujourd’hui consiste à trouver une tolérance, une unité et un langage commun.

Si la neutralité religieuse a bien été conquise en 1905, nous savons par expérience que son maintien dans la durée est impossible hors d’une discipline citoyenne qui devient vite insupportable en situation d’injustice sociale. En effet, loin d’être réduites, les résistances identitaires s’exaltent notamment sous les effets conjugués des religions, des convictions politiques, des stigmatisations racistes et discriminantes et du productivisme forcené. C’est l’ensemble de la personnalité, du mode de vie, des espoirs et des craintes, de la qualité des liens sociaux qui se trouve en permanence bousculé par les exigences contradictoires de la fidélité à soi-même et de la neutralité d’une société protéiforme.
Il est vrai que la laïcité a été d’une grande utilité pour mettre en place la République et consolider les acquis des révolutions du XIXe siècle ; mais, aujourd’hui, la priorité consiste à trouver une tolérance, une unité et un langage commun pour changer le monde et pour que tous les hommes et les femmes puissent y contribuer dans le lieu et le temps qu’ils partagent. N’abandonnons pas cette ardente obligation humaniste au profit des faiseurs de miracles transhumanistes et à ceux (souvent les mêmes) qui en appellent à de nouvelles guerres de religions.

Nous sommes aujourd’hui dans un moment de notre histoire où la nécessité d’une redéfinition de la laïcité s’impose en raison d’une légitime remise en cause de notre civilisation et de la nouvelle donne écologique et économique.
À force de se consacrer à la neutralité de la République, la laïcité finit par jouer contre son camp. Comme courant de pensée fortement structuré, elle met sa pugnacité historique au service de la paix civile, mais aussi de tous ceux qui se sont convaincus que la liberté de croire vaut liberté d’action, c’est tout le problème que nous pose le rapport entre la liberté de conscience et celle d’agir. L’extrême droite, en l’occurrence le Front national, a bien profité de cette confusion qui lui permit naguère de se présenter comme le « premier parti laïc de France » ! Et bien des crimes terroristes islamistes ont été commis en raison de cette confusion.
Pendant plus de cent ans la laïcité nous a protégés d’un risque de mise sous tutelle religieuse. Que fit-elle donc pour nous protéger du risque de tutelle économique qui nous conduit dans un monde de souffrance ? Elle se trompe de combat, elle se trompe aussi de méthode. En raison des lacunes et défaillances des valeurs républicaines, ou plutôt de leur oubli, la laïcité s’est crue en capacité d’être le censeur autoritaire des comportements, le « sur-moi » exigeant de l’espace public, la morale d’un peuple qui tendrait à une uniformité interdisant tout écart. Ce n’est pas son rôle, sauf à la confondre avec l’ordre moral de triste souvenir et la transformer en une valeur interdictive opposait à celles de la République.
La laïcité n’est pas là pour juger mais pour protéger, conformément à son rôle institutionnel. Elle n’a rien à dire sur les supériorités alléguées, ni sur les variétés culturelles, ni sur les petites différences qui singularisent chaque religion. Elle n’a pas à porter de jugement sur l’histoire passée des individus et des peuples.

Pourtant, les interventions moralisantes présentées comme conformes aux exigences de la laïcité sont de plus en plus nombreuses, tant les écarts de comportements et d’apparences sont devenus stigmatisants… au point que pour certains de nos compatriotes la seule apparence physique est un signal de danger. On appelle cela un amalgame raciste. Serait-il aussi coupable d’être arabe que terroriste ? La laïcité institue la neutralité de l’État avec un effet structurant sur toute la société, mais n’a pas pour fonction de créer et d’imposer les règles du « vivre ensemble », qui sont déjà suffisamment encadrées par les lois d’ordre public, d’hygiène de vie, de sécurité, de précaution, d’éducation, de protection des cultes… d’état d’urgence et de juridictions d’exception.
Regrettons cependant que la loi ne puisse protéger également les citoyens contre les assauts répétés de la publicité, du consumérisme, des réseaux sociaux, des fake news, et contre la soumission de chaque citoyen à l’air du temps. Trop souvent privé du temps de réfléchir par soi-même, il ne peut croire que ce qu’on lui demande de croire et finit par oublier à la fois sa conscience et sa liberté.

La Fraternité globale, Michel Joli, Érès, 168 p., 16 €. Paru 11 mars 2021.

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