Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Radicalement entre soi

Publié le 7 mai 2021 par

Comment se déploient les nouvelles mobilisations et le militantisme radical ? Réponses (ou pas) dans les essais d’Albert Ogien, Raphaël Challier et Vanessa Jérôme.


Par Sylvain Boulouque

Les nouvelles modalités du militantisme interrogent les chercheurs, une petite salve d’enquêtes vient de sortir. Suite aux mouvements sociétaux de ces dernières années, Albert Ogien (né en 1950), membre émérite du Centre d’études des mouvements sociaux, propose dans son nouvel essai, une réflexion sur les nouvelles formes de mobilisations. Celles-ci reposent principalement sur l’entrée dans l’espace politique de citoyens qui n’en possèdent ni le savoir ni les codes, voire qui veulent en bouleverser l’ordre et en rejettent la représentativité traditionnelle. Le nouvel activisme militant à la manière de #MeToo et de Black Lives Matter façonne largement l’espace public. Autour de six grands thèmes, le sociologue analyse comment la société civile s’est transformée en agora citoyenne où la prise de parole est favorisée, formant une nouvelle forme consistante de démocratie. En dépit des déclarations d’hommes politiques sur la « rue qui ne gouverne pas », elle demeure un lieu central de l’activisme par ses démonstrations spectaculaires. Les deux premiers éléments sous-entendent une redéfinition du militantisme par l’activisme, même si l’on est tenté de se dire qu’il n’y a pas de changement fondamental par rapport aux périodes antérieures. N’attribue-t-on pas à Jacques Duclos la phrase sur les chiffres arithmétiques et politiques à propos de l’importance des manifestations ? Le PCF avait alors une certaine science de cette occupation de la rue. Les modifications de l’action publique entraînent un changement dans le mode de participation à la vie publique mais aussi dans la rupture rapide du jeu des alliances, comme l’illustre le mouvement 5 Étoiles en Italie passant de la remise en cause des élites à l’alliance avec ses mêmes élites qu’elle soit post fasciste avec Salvini ou libérale avec Prodi puis Draghi ou plus classiquement, Podemos en Espagne, qui refuse le système jusqu’à l’alliance avec le PSOE. La thèse centrale d’Albert Ogien est que l’activisme conduit à refaire de la politique. Plusieurs remarques s’imposent. Étonnamment, l’essai ne se focalise que sur l’activisme de gauche, autonome ou libertaire. L’extrême droite est totalement absente si ce n’est effacée de l’analyse. Même si cette dernière ne propose qu’une définition réduite et réductrice de la citoyenneté, il est difficile de la supprimer du débat et plus encore de ll’étude. On est extrêmement surpris de pas voir apparaître la fachosphère pour ce qui concerne l’activisme sur internet, car en la matière, elle a plusieurs longueurs d’avance de même que dans ses modes d’intervention publique.

Albert Ogien efface totalement dans son analyse, l’activisme de l’extrême droite. D.R

Par ailleurs, la redéfinition du politique par l’activisme semble aussi vieille que la politique telle qu’on la théorisait au PCF des années 1920, que son institutionnalisation à partir du Front populaire ou la présence de différents et nombreux groupes d’extrême gauche dans les années 1970.

Raphaël Challier, sociologue, lui, s’est intéressé à l’absence de classes populaires dans le militantisme. Il enquête et documente sur cette désaffection du politique par les milieux sociaux modestes, en choisissant de sortir des centres villes et de rencontrer ce que dans le temps on appelait les militants de base. Trois partis sont ainsi examinés : le RN à Grandmenil, le PCF à Vigny et LR à Granin,  traduisant l’absence de cette présence populaire dans les autres groupes politiques et la faible ascension politique et sociale des dites catégories dans les appareils politiques. Ces militants sont considérés comme de seconde zone, loin des discours des élites politiques des partis. Les militants sont plus proches de l’image du colleur d’affiches un peu bourru que du cadre de formation politique. Ces « subalternes » sont nécessaires aux appareils, mais ne bénéficient d’aucune promotion interne, car éloignés de l’image que leur parti veut renvoyer.

Ainsi chez Les Républicains de Granin, ancienne commune ouvrière de la banlieue rouge, partagée en deux zones distinctes, l’une résidentielle et la seconde délabrée. C’est la seconde section qui est systématiquement déléguée pour aller porter la bonne parole dans les quartiers populaires, aux nouvelles générations issus de l’immigration. Objectif : convaincre qu’il n’y a pas d’assignation sociale ou identitaire.

La section du RN en Lorraine ne répond pas à la même logique. Deux groupes se superposent. Les classes moyennes en quête de respectabilité via le Parti relooké alors que les anciens militants, tendance FN historique, sont progressivement mis à l’écart et ne sont employés que pour certaines tâches. Ces adhérents – surtout des femmes – sont peu insérés socialement, et représentant les figures de l’assistanat social que le RN abhorre. C’est l’un des paradoxes entre le discours et la réalité sociale de ce Parti, totalement institutionnalisé, mais qui se présente comme une force alternative.

Raphaël Challier explore le militantisme des milieux populaires.

Enfin, les communistes de Vigny, choisis parce que la ville est universitaire et populaire cherchent à démontrer la diversité de leur recrutement dans toute la société. La section de l’UEC affiche cette volonté par la culture de rue – transformant les réunions et le local en lieu festif et convivial représentant les cultures urbaines davantage que les traditions communistes.  Les figures militantes émergent par capillarité et sont souvent liées aux grandes sœurs déjà militantes. Les socialisations politiques familiales et la connaissance de la culture communiste favorisent l’accession aux responsabilités.

Les trois organisations, de manière différente, favorisent l’accession aux responsabilités des individus disposant d’un capital de ressources culturel et politique, alors que ceux issus des milieux modestes sans ses références n’y accèdent que rarement, reproduisant le militantisme de « seconde main » et accentuant le désinvestissement politique.

Vanessa Jérôme : un militantisme Vert plus complexe que la caricature sociologique qu’il sécrète lui-même.

La question de l’appartenance aux milieux modestes ne se pose que rarement chez les Verts qui sont pour la plupart issus de milieux à forts capitaux culturels – mais rarement financiers… (À ce sujet, lire la passionnante enquête Génération surdiplômée de Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely). L’enquête de la politiste Vanessa Jérome est une plongée dans la sociologie des Verts. L’autrice, ancienne militante et responsable écologiste depuis 2002, s’est appuyée sur sa propre expérience et sur les nombreux textes produits dans la mouvance écologiste. Elle propose une analyse sociologique de cette force politique, prenant le travers parfois d’une lecture trop interne et centrée sur les débats de l’organisation. L’autrice note que la formation demeure l’objet d’attaques innombrables, rappelant parfois la peur du Rouge. Elles sont en partie liées aux questions abordées par ces militants, mais aussi à l’image qui leur colle à la peau. Les Verts sont perçus comme un mélange de pensée libertaire, de pratique parfois proche du spontanéisme mais aussi de régénération post mai 68, participant du renouvellement des questions sociétales, de l’analyse critique des nouvelles technologies en passant par le soutien aux migrants et aux LGBTQ+, jusqu’à la remise en cause de la société industrielle. L’autrice met en contradiction les représentations qui en sont faites et la réalité du militantisme qui est nettement plus complexe.

Les Verts connaissent un renouvellement des adhésions important entre 30 à 50 % avec un nombre moyen de membres est situé entre 8 000 et 10 000 personnes. Son influence dépasse largement son audience, irriguant tout l’échiquier politique. Les cadres et les responsables du Parti sont le plus souvent CSP+, très qualifiés, fortement diplômés, ils ont une expérience partisane remontant parfois à 20 ou 30 ans. Le renouvellement générationnel s’est opéré avec la transformation en Europe Écologie, sans en changer totalement l’esprit. Même si les nouvelles générations vertes se nourrissent davantage des expériences de terrain, d’une dimension réaliste plus que de théorie politique et d’une professionnalisation du politique. L’étude montre que l’appartenance à EELV s’inscrit dans un compagnonnage familial ou affinitaire. Qu’ils soient néos ou vétérans, ces militants sont habitués aux discussions et à la polémique, ce qui explique le caractère particulier et hybride de cette organisation relativement éloignée des représentations que les médias en donnent, et de la caricature qu’elle sécrète elle-même.

Simples Militants. Comment les partis démobilisent les classes populaires, Raphaël Challier, PUF, 368 p., 21 €. Paru mars 2021

Politique de l’activisme. Essai sur les mouvements citoyens, Albert Ogien, PUF, 232 p., 16 €. Paru mars 2021.

Militer chez les verts, Vanessa Jérome, Presses de Sciences Po, 22 € 302 p., 22 €. Paru mars 2021

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