Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

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#Politique

La statue commandée et mise au rencart par François Mitterrand

Publié le 9 mai 2021 par

#10 mai (1). 10 mai 1981 : François Mitterrand à l’Élysée, la Gauche espère. Qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ? Tout le mois, Les Influences interrogent acteurs du moment et observateurs de toutes générations. Aujourd’hui : le Président et son double.


par Emmanuel Lemieux et Olivier Roller

Dans l’atelier du sculpteur Daniel Druet. Huit têtes de bronze numérotées ont bien été coulées mais le buste du Président, lui, est invisible. © Olivier Roller pour Les Influences.

Comment survivre au temps qui passe ? À peine élu le 10 mai 1981, François Mitterrand avait envisagé qu’un artiste réalise sa statue. C’était encore l’époque. Le sculpteur Daniel Druet fut sollicité. Le Président n’aima pas son double et s’employa à le faire disparaître.

À la neuvième séance du mardi 18 octobre 1983, dans la salle des fêtes de l’Élysée, le sculpteur Daniel Druet a compris qu’il ne réaliserait jamais cette effigie. Les images de son complice, le photographe Guy Le Querrec, qui l’accompagne lors de ces instants, l’ont convaincu. On y voit François Mitterrand, le modèle, calé dans son fauteuil Louis XVI, qui se tient retranché derrière la lecture du journal France Soir, un rempart de papier l’abritant du regard de Daniel Druet en train de modeler son auguste tête. Mais le portrait, après toutes ces heures de travail et d’esquive, est en train de sortir malgré tout de l’argile, de se préciser. Daniel Druet qui travaille souvent pour le musée Grévin n’est pas un artiste à la petite semaine, ses doigts ont modelé bien des figures de pouvoir. Depuis des semaines, il se confrontait à une énigme. Mais cette fois, il semble tenir l’esprit du modèle. Plus il se sent inspiré plus la tension dans la salle est palpable. « La séance est plus “sportive” que les autres, l’action plus musclée, mes déplacements plus nerveux, le geste est précis, le modèle est tendu, raconte le sculpteur. À la fin de l’heure (le temps de pose habituel), le Président propose un prochain rendez-vous. » Mais l’artiste lui confirme qu’il en a terminé, que ce buste lui paraît achevé. Saisissement du Président. Jusqu’au bout, il aura tenté de peser sur le destin de ce double. Le sculpteur et le Président ne se reverront plus.

Exceptionnellement, à la fin de la pose, François Mitterrand, curieux ou inquiet, flatte son visage d’argile, caresse ses pommettes fraîches, pose des questions, esquisse une critique.

La clé de ce conflit entre l’artiste et son modèle est l’avant-dernière séance, le 6 octobre. Daniel Druet avait cueilli à froid François Mitterrand : après des mois de tâtonnements, il avait détruit sa précédente figure et tout était à refaire. Libéré de toute appréhension, sachant où aller, le sculpteur utilise sa liberté et, très rapidement, un François Mitterrand nouveau surgit sous ses doigts. Le Président, lui, marque son trouble, exerce une résistance passive. « Comme s’il perdait pied, comme si la situation lui échappait, il se racroche à son fauteuil », remarque Druet. Les rôles se sont inversés. Les atouts ont changé de main. Exceptionnellement, à la fin de la pose, François Mitterrand, curieux ou inquiet, flatte son visage d’argile, caresse ses pommettes fraîches, pose des questions, esquisse une critique.

Contrairement à une légende tenace, cette figure de bronze signée Daniel Druet n’a jamais été exposée sous les ors de la République. Huit têtes ont été coulées dans le bronze, numérotées de 1 à 8, par la fonderie Godard, mais le buste est invisible. Le Président ne l’a pas aimé. Il naîtra de cette rencontre un petit livre à diffusion confidentielle (François Mitterrand. Des Temps de poses à l’Élysée, Marval, 1997), où Druet et Le Querrec retracent leur expérience.

De cette tête mitterrandienne mise au rencart depuis quarante ans dans l’atelier de Daniel Druet, il reste le sentiment d’un visage un peu machiavélien, aux orbites plus sombres que précédemment, endurci par le combat politique, et sans doute sculpté à l’insu de tous, par la maladie qui corrompt tout.


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