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#Culture

Georgia O’Keeffe, la fleur et l’esprit bélier

Publié le 29 septembre 2021 par

L’idée : Le scénariste Luca de Santis et la dessinatrice Sara Colaone proposent un biopic qui se nourrit de l’œuvre même, plus variée que les fleurs troublantes qui ont fait son succès, de l’une des plus grandes artistes américaines du XXe siècle.

©Georgia O’Keeffe par Sara Colaone / Steinkis.

#ARTS.

Bien sûr, les fleurs, les pistils comme des dards et les pétales, des vulves s’entr’ouvrant. Leurs touches d’érotisme scandaleuses ont parfumé l’arrivée de Georgia O’ Keeffe (1887-1986) sur la scène de l’art contemporain. Dans Georgia O’ Keffe, amazone de l’art moderne (Steinkis), publié à la faveur de l’exposition au Centre Pompidou (jusqu’au 6 décembre 2021), elles ont leur place. Mais les auteurs italiens de cette biographie dessinée, le scénariste Luca de Santis et la dessinatrice Sara Colaone, ont fait bien plus que l’illustration académique d’un article Wikipédia.

1949 voit une Georgia O’ Keeffe, abritée dans son hacienda dit le Ghost Ranch, au Nouveau-Mexique, entourée de quelques femmes, la précieuse écrivaine Maria Chabot, Anita Politzer et sa secrétaire Doris Bry. Elle fait l’inventaire des milliers de photos, dessins, et écrits du galeriste et photographe Alfred Stieglitz (1864-1946), son compagnon impossible, son ogre carnassier, son double, son énergie en fusion et par-dessus tout, son portraitiste obligatoire. Dans ce nulle part, elle doit à la fois disséminer les cendres et les œuvres de celui qui fut l’amour de sa vie et  rassembler ses propres forces d’artiste. Autocrate. Insupportable. Déterminée.  Elle mène quelques balades péripatéticiennes dans le désert, en tête-à-tête avec un esprit à crâne de bélier ( « Je suis une partie de cette force qui constamment veut le mal et constamment fait le bien. »). Tente d’entrebâiller des portes de perception. Se dissout dans la géométrie pure. Court après les nuages. Fuit les images toutes faites et les identités bridées. Le biopic distille ainsi ses éclats d’existence, de la jeune étudiante pleine d’aplomb à la très vieille dame quasi aveugle, laissant sa main d’artiste être guidée par son assistant Juan Hamilton et qui découvre la légèreté du passé.

La bande dessinée a ce pouvoir sur la peinture et la photographie de déborder du cadre et de la cristallisation des images, c’est elle qui peut estomper les frontières. Ici, elle indique le mouvement, la présence, un imaginaire de l’infini. Sara Colaone, avec son trait au fusain, ample, cherchant elle-aussi le vide des espaces, et de grande clarté, comme lavée à l’eau de Javel, a su capter l’essence spiritualiste de Georgia O’ Keeffe.

Catalogue de l’exposition. « Inside Red Canna » (détail), 1919. Collection Sylvia Neil and Daniel Fischel © Georgia O’Keeffe Museum/Adagp Paris 2021


Sara Colaone : « La matière de la peinture et la couleur sont les vrais protagonistes de ses tableaux»

La bédéaste Sara Colaone. D.R

Avant de réaliser ce biopic avec Luca de Santis, que connaissiez-vous de Georgia O’Keeffe ?

Sara Coloane :  Je connais l’œuvre de Georgia O’Keeffe depuis l’université, où j’ai étudié l’histoire de l’art contemporain et du cinéma, et ses fleurs ont toujours été l’icône perturbante de son art. En étudiant sa peinture plus en profondeur pour réaliser ce livre, j’ai découvert un univers de sujets très différents, où la matière de la peinture et la couleur deviennent les vrais protagonistes de ses tableaux.

Comment en tant que dessinatrice, avez-vous abordé le personnage, et quel écueil avez-vous cherché à éviter ?

Georgia était un femme intelligente, bien consciente d’elle même, pleine de charme et de sensualité, mais pas facile du tout. Aborder ce personnage signifie prendre soin de toutes ses facettes, celles de  l’artiste aux poses hiératiques et dans le même temps, celles d’une femme américaine moderne, aux habitudes simples. C’est cette personnalité entière ce que nous avons cherché à restituer.

L’écriture du scénario a été très importante pour éviter l’écueil le plus facile : se laisser influencer par les portraits d’elle qu’a réalisé son mari, Alfred Stieglitz. Ou alors la figer dans une posture de peintre féministe.Nous avons tenté d’échapper à la cristallisation de ces images. Habituellement, Luca et moi nous travaillons sur les scénarios (Leda, L’île des hommes, Ariston) et nous partageons beaucoup mais dans le cas de Georgia, le scénario écrit par Luca était parfait ! Les dialogues s’intègrent parfaitement aux scènes. J’ai seulement ajouté une petite scène de promenade dans le désert, la nuit, avec le chacal qui suit Georgia. Une période clé de sa vie nous a aidés : c’est à partir d’une image de crise dans sa vie, après la trahison et la mort de son mari, que nous avons rencontré l’essence de notre Georgia, qui était sans aucun doute sa renaissance en une créature presque infinie, où se rejoint créativité et feminin.

Quel est le dessin ou la planche du livre qui vous paraît le plus « juste » de votre récit, et pourquoi ?

C’est difficile de choisir… La BD ne fonctionne pas avec des planche isolées mais avec l’ensemble de la narration. Je crois que la planche 28 peut donner une bonne idée du livre, où il y a une espèce de continuité visuelle entre un cadre et l’autre, une idée d’espace continu bien dehors du dessin, en un mot: la bande dessinée.

Quel est votre œuvre préférée de Georgia O’Keeffe, et pourquoi ?

Le Specials, les premières oeuvres de Georgia exposées à la galerie 291 en 1915, sont des dessins au charbon (charcoal) d’une puissance incroyable. J’ai proposé dans le livre des versions différentes des Specials, et c’était une expérience fort riche.

Vous avez une maîtrise en conservation des biens culturels, et une thèse sur l’histoire du cinéma : Qu’est ce qui vous a poussé à être autrice de bande dessinée ?

J’ai toujours aimé la bande dessinée. Dès mes 7 ans, je lisais des mangas, et puis peu à peu je me suis passionnée pour des auteurs plus variés. Je viens d’un milieu social où la bande dessinée mais aussi le graphisme et la musique étaient les moyens d’expression les plus naturels. Mais c’est lorsque j’ai eu l’occasion d’illustrer un petit conte d’auteur de Francesco Satta que j’ai commencé ma carrière, en 1997, avec le support de Vanna Vinci (autrice BD) et de Kappa edizioni, une maison d’édition qui diffuse des graphic novel en Italie.

Georgia O’ Keeffe a été, un temps, professeure de dessin, et vous, quelle est votre ligne directrice quand vous enseignez cet art ?

Travailler avec les jeunes est amusant et enseigner la BD est une très bonne occasion pour réfléchir sur sa propre méthode. Ma ligne est qu’on apprend cet art dans sa globalité et en continu, donc on doit être prêt à ne jamais s’arrêter.

Georgia O’Keeffe, amazone de l’art moderne, Luca de Santis et Sara Colaone, Steinkis en partenariat avec le Centre Pompidou, 192 p., 24 €. Paru 2 septembre 2021.

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