Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

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Décès de Tal Piterbraut-Merx

Publié le 5 novembre 2021 par

Philosophe de formation, penseur des rapports de domination des adultes sur les enfants et romancier, il s’est donné la mort le 25 octobre dernier.

Tal Piterbraut-Merx. Source : Blast éditions.

Le monde lui était peuplé de fantômes. Les fantômes mangeaient ses secondes, et grésillaient comme des parasites sur sa propre voix. Outrages est un roman qui scande sa colère avec un souffle singulier, voix intérieure tordue par un secret, images heurtées, virgules aléatoires destinées à déranger la langue et le regard. Il raconte le parcours d’une infirmière en psychiatrie, obèse, juive, victime d’inceste et comme hantée elle aussi, retournant vers le cercle famillial, avec le dilemme du silence ou de la parole. Dilemme irrésolu dans ce roman qui restera, après La Funambule (Maurice Nadeau, 2017) à l’état d’ébauche de l’univers de Delphine alias Tal Piterbraut-Merx. L’auteur s’est donné la mort quelques jours avant la Toussaint. Militantisme queer, violences intrafamilliales et mémoire juive constituent les trois principales sources phréatiques du texte. Même publiée par des éditeurs à diffusion discrète, il n’en ressentait pas moins un enjeu au-dessus la normale : « Par peur d’être accusée de mensonge, par peur de travestir des ambiguïtés, je dépose ma bouche contre les orties du langage, et l’en ressors gonflée. », expliquait-elle sur le site de son éditeur Blast en mars 2021. Son tout premier roman avait été publié sous pseudonyme, celui de Cléo Dune, telle une forme qui se reforme sans cesse. La Funambule précisément est un premier roman sur le fil de l’identité. « Si vous voulez rendre hommage à Tal, écrivent des amis dans un petit faire-part numérique, nous vous recommandons de prendre en compte les éléments suivants : Tal se genrait au féminin comme au masculin, avec des usages différents selon les personnes et les contextes

Tal Piterbraut-Merx était « juive, gouine, féministe et fière» décrivent-ils encore, mais aussi « victime d’inceste et engagée dans la lutte contre la domination adulte». Elle était également agrégée de philosophie. Sa thèse en cours, sous la direction de Claude Gautier et Cornelia Möser (CNRS), travaillait précisément ces rapports de domination des adultes sur les enfants. C’est d’un point de vue politique que la chercheuse s’est intéressé aux violences sexuelles exercées sur les enfants, à l’inceste « comme domination de genre mais aussi d’âge – que l’on prend moins en compte politiquement » – et aux mouvements pédophiles d’extrême-gauche des années 1980.

Un autre aspect de sa personnalité se cristallise dans l’un de ses derniers engagements publics, celui de la signature d’une tribune collective en juillet dernier, publié sur Mediapart, contre l’usage analogique de la Shoah par des contestataires du pass sanitaire. « Être Juive, comme beaucoup d’autres choses de son enfance, c’était d’abord ceci : un secret », s’avoue l’héroïne d’Outrages.

L’annonce de sa mort survenue le 25 octobre a pris de stupeur son entourage professionnel, à Berlin au Centre Marc-Bloch où boursière, elle devait achever sa thèse cette année, comme à Lyon, à l’École normale supérieure. Celles qui parlent le mieux du romancier esquissé sont Karim et Sol, ses deux éditrices toulousaines. « Nous avons le souvenir d’un travail et d’échanges intenses sur Outrages, se souviennent-elles. C’est un roman qui éclaire par différentes fenêtres, et témoigne d’une exigence littéraire résolue. Depuis trois ans, nous publions et défendons des voix minorisées, et celle de Tal s’annonçait prometteuse.» Blast ne publiera malheureusement pas le second roman prévu, et l’essai issu de sa thèse.

Je dépose ma bouche contre les orties du langage, et l’en ressors gonflée.

Tal Piterbraut Merx à son éditeur, mars 2021

Ce qui était de grande limpidité dans les propos de l’auteur en mars dernier, toujours publiés sur le site de l’éditeur, prend désormais la lueur d’une douleur vive : « La perspective adoptée dans Outrages peut selon moi se comprendre à partir d’un film qui m’a vivement marquée adolescente, Festen de Thomas Vinterberg. Outrages est un anti-Festen : il s’agit de refuser les coups d’éclat, les grands règlements de comptes familiaux. Ou plutôt il s’agit de montrer que vouloir rompre par la parole le silence qui entoure les violences exercées au sein de la famille peut être un piège, car on s’épuise à parler sans être entendu·e. La thématique du secret est très importante pour moi, en particulier lorsqu’elle touche à l’inceste, parce qu’on a tendance à considérer qu’un secret doit être rompu. L’envers du secret est ainsi représenté par le cri. Or, l’acte du coming-out, qu’il touche d’ailleurs à l’inceste ou à l’homosexualité, impose à la personne une manière de se dire qui est aussi douloureuse et limitante. Je ne sais pas si on peut mourir de se taire, mais la captation de la parole comporte des risques certains.»

Tal Piterbraut-Merx a été enterrée dans la religion juive au cimetière de Bagneux, Hauts-de-Seine, le 5 novembre.

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