Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
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Denis Robert vous informe

Publié le 17 janvier 2022 par

L’idée : Comment réinventer un journalisme artisanal dans l’ère impérial de l’industrie médiatique.

Le journaliste et romancier Denis Robert vient de lancer Blast, son nouveau média. © Nina R.

Travailleur médiatique. Résister à la fabrication du consentement, Denis Robert, Massot, 446 p., 22 €. Paru octobre 2021.

On l’a lu cette jolie gaufre d’éloge et de plaisir infini pour la presse, le journalisme créatif, l’enquête fouillée et l’écriture singulière. Et que Denis Robert ne souhaite pas lâcher de sitôt. Se retrouvant au chômage en 2019, Pôle Emploi lui signifia qu’il avait effectué pourtant tous ses trimestres, et par conséquent pouvait songer à la retraite. Électrochoc existentiel. À 63 ans, le journaliste d’enquête qui, de Vologne en boîtes noires des paradis fiscaux, a électrisé les pages de Libération et de ses propres livres, ne se sent pas totalement dinosaure éteint. Il est aussi un romancier, si ce n’est un artiste (on songe à ses peintures extirpées de ses dures et longues années Clearstream, ses scénarii de bande dessinée et ses documentaires) qui, depuis des années, expérimente, s’ingénie à brouiller le trait de côte d’un journalisme formaté avec des récits gonzo ou des éditoriaux seul-en-scène. D’où ce nouvel essai qui, entre journal de bord, digressions, réflexions, mauvaise foi de combat, humour vache, brèves perso et breaking news, se conçoit lui-même comme un média singulier dans la gigantesque industrie médiatique. Car c’est désormais d’industrie qu’il faut parler. Essayant d’expliquer à son père la nature de son métier : « Je me suis surpris à lui dire un jour que le journalisme était devenu une industrie, un peu comme la sidérurgie et l’agroalimentaire […]. Il y a moins de marge de manœuvre pour les journalistes, lui ai-je dit. On est devenu des travailleurs médiatiques. »

Paradoxe : c’est son métier de romancier qui l’a sacré journaliste d’enquête à part entière.

Tout cela est en vrac, à la bonne franquette dans Travailleur médiatique. L’électricité de l’actualité (la Covid, la corruption moderne, la pollution informationnelle, les années Macron qui l’exaspèrent) alterne avec les flashs d’un âge d’or de la presse écrite, celui des années 1980-1990. Les premières pages ont la lumière rasante du crépuscule. Denis Robert déjeune avec son père au bistrot du village. C’est l’été 2021 et, sur l’écran qui les domine, passent en boucle Teddy Riner se ramassant sur le tatami et des plans de « Gilets plus ou moins jaunes énervés par le pass sanitaire [qui] bousculent des journalistes ». Le fils partage le repas, mais plus vraiment le même monde désormais. La vie de son père, octogénaire et pourtant toujours vif d’esprit, est « désormais rythmée par les informations distillées par la télévision ». BFM, CNews, avec une préférence pour la seconde car les débats y sont plus animés. « La circulation circulaire de l’information, concept cher à Pierre Bourdieu, n’a jamais autant circulé et endormi les esprits », amorce Denis Robert. Un venin poisseux circule dans les veines surabondantes de l’info. Comment en est-on arrivé là et comment le journaliste très indépendant qu’il est construit-il sa liberté dans ce nouveau monde ? Il rouvre ses dossiers annuels de feuilles de paie et d’à-valoir, reconstitue une carrière qui, des années 1980 à ce premier quart de XXIe siècle, aura vécu un âge d’or de la presse écrite, un big bang audiovisuel et encaissé le nouvel équilibre bancal imposé par Internet. Armé de son expérience et de ses influences intellectuelles (Pierre Bourdieu, Jacques Rancière, Noam Chomsky, et le journaliste Walter Lippmann, théoricien de « la fabrique du consentement »), l’enquêteur examine ses souvenirs. La décennie 1980 : c’est l’époque, où lassé de sa collaboration avec Actuel, il prévient Jean-François Bizot qu’il va acheter des cigarettes et n’y revient jamais. Il rebondit à Libération de Serge July, alors au faîte de sa puissance de feu, où les lecteurs le métabolisent à l’affaire Grégory. Pigiste le plus productif, il devient l’un des collaborateurs les mieux payés du journal et produit aussi de la jalousie. Le jeune Messin qui animait son très bon fanzine Santiag est devenu une petite star parisienne. Ainsi le cinéaste Léo Carax le sollicite pour rédiger le dossier de presse des Amoureux du Pont-Neuf. Mais Denis Robert ne restera pas longtemps sur ce tournage fou, le producteur aurait redouté qu’il fouine dans les comptes et le cash. L’argent sale, l’argent noir, l’argent codé… À la rédaction, des caisses des partis politiques aux circuits méandreux des paradis fiscaux, il forge sa stature de « Monsieur fausses factures », comme on le surnomme. Mais en 1995, il entreprend une nouvelle vie, radicale. Romancier, tout le paradoxe de Denis Robert : c’est l’édition qui le sacre journaliste d’enquête à part entière. Le livre, ce média si archaïque, est sa redoutable chambre d’écho. Notamment avec Révélation$ en 2001, en attendant La Boîte noire.

Il aurait pu ainsi continuer longtemps, en media-man, en artisan de luxe loin de l’industrie. La mésaventure ne prend pas beaucoup de place dans son pavé de 450 pages, quelques phrases méprisantes pour Le Média. S’il s’est retrouvé au chômage et dans le doute brutal, et incidemment a réalisé qu’il avait son âge, c’est à cause du Média, la webtélé lancée dans l’attraction de La France insoumise, et qui a été un catastrophique tunnel de déontologie et de ligne éditoriale, de coups de trique managériaux et de contenus médiocres. Le journaliste pourfendeur de Clearstream avait été appelé en renfort moral pour sauver le Titanic. Sèchement éconduit quelques mois plus tard.

« L’expérience du Média a créé un manque, s’avoue-t-il, d’autant que mon départ a provoqué une crise interne entre salariés et un départ massif de sociétaires. Très vite, l’idée de créer une nouvelle WebTV et un site d’information sans les casseroles et les boulets du Média s’impose. » Voilà pourquoi, en janvier 2021, le sexagénaire « décide qu’[il] s’emmerde trop dans [son] bureau à écrire [son] prochain roman » et imagine Blast. L’argent ? Il se souvient de la petite phrase de son ami François Cavanna, cofondateur de Charlie Hebdo à qui il a consacré une très belle bio, Mohicans : « Il faut mépriser l’argent, surtout la petite monnaie. » Alors lui aussi se lance dans le crowfunding, technique de souscription en ligne. Dans ce Far West confus d’Internet, son Blast, un « média 360° », au statut de coopérative, a recueilli pas loin du million d’euros de souscription et plus de dix mille adhérents. De travailleur médiatique deviendra-t-il patron de presse d’un nouveau type, ou bien pixel perdu sur la grande toile océanique ? © « Allez, salut. »

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