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Elvire Duvelle-Charles : « le féminisme n’aurait pas le même visage sans les réseaux sociaux »

Publié le 15 février 2022 par

L’idée : L’essayiste féministe et ex-Femen retrace dans un petit livre, les ambivalences mais aussi les ressources numériques pour les militantes online. Rencontre avec un réseau social à elle toute seule.


L’influenceuse et essayiste féministe Elvire Duvelle-Charles. D.R

Sur Instagram, @elviredcharles raconte sa « life ». Ses exploits en rollers, la malheureuse Odyssée d’un hamster piégé dans sa boîte aux lettres et beaucoup, beaucoup, de coups de gueule – notamment contre Emmanuel Macron qu’elle dézingue à l’appui de stories with filter. Près de 12 000 abonnés suivent jour après jour son actualité. Celle d’une influenceuse lambda ? Pas vraiment. Ancienne figure de l’antenne française des Femen, Elvire Duvelle-Charles secoue l’Internet en cumulant les casquettes d’activiste en ligne.

Chroniqueuse du podcast sexo Hotline sur Spotify, cocréatrice de la série documentaire Clit Révolution diffusée sur France.tv Slash, elle aussi à la tête du compte Instagram @clitrevolution, attirant 124 000 followers. À 34 ans, celle qui a fait de l’action numérique un levier pour « mobiliser les consciences » autour du féminisme vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc en publiant ce 17 février, Féminisme et réseaux sociaux, qu’elle espère voir devenir « une référence » en matière d’intrication entre paysage digital et cause féministe.

« Tout a débuté avec mon master en études de genre », raconte la jeune essayiste en dégustant son allongé aux abords de la Place d’Italie, et tout est allé très vite. Courant 2018, Elvire s’inscrit sur un coup de tête à Paris VIII pour poursuivre ce cursus – « je suis quelqu’un d’assez impulsif », lâche-t-elle dans un souffle amusé. L’objectif ? « Combler des lacunes théoriques ». Ce qui devait n’être qu’un supplément d’âme la passionne, et son mémoire Nouvelle révolution sexuelle : le cas d’Instagram récolte un 19/20. Sacrée surprise pour cette originaire d’une ZEP d’Ivry qui décrit son parcours scolaire comme celui d’une « cancre ». Encouragée par son jury, Elvire se lance dans un texte hybride, entremêlant anecdotes autobiographiques, exploration des rouages qui font marcher les plateformes digitales et témoignages de personnalités qui, comme elle, transforment ces outils en « caisses de résonance » sur des thématiques « sous-médiatisées ». Violences conjugales, harcèlement, inégalités salariales…État des lieux retraçant l’évolution et les techniques activistes du féminisme français sur les réseaux entre 2017 et 2021, le livre étonne et détonne, ce champ d’étude restant largement à défricher. L’essai est un beau concentré de son militantisme 2.0.

La vie de militante Femen : 15 000 procès, une condamnation à la prison, des insultes, des menaces et de la haine quotidienne

L’ex-Femen ne voit pas de rupture franche entre le militantisme coup de poing et ce travail de transmission des savoirs et de réflexions. Elle trouve même ce virage « plutôt cohérent ». Très hérissée depuis son adolescence contre un « patriarcat » qui n’a cessé de lui « casser les ovaires », elle a fait son entrée dans le féminisme par une porte radicale. En 2012 Inna Shevchenko, qui était alors leadeuse des Femen, s’est exilé à Paris et y crée la branche française du mouvement. Attirée par le mode d’action de cette Ukrainienne inspirée par Lénine et l’agit-prop, Elvire , sans y réfléchir à deux fois, rejoint ses rangs (l’impulsivité, encore). C’est le début d’une aventure qui l’entraînera à s’époumoner, 4 ans durant et souvent seins nus, du côté du Vatican de Benoît XVI, de l’Italie de Berlusconi et de la Turquie d’Erdogan. Tantôt pour défendre le droit des homosexuels, tantôt pour dénoncer la censure. Toujours avec « l’injustice sociale » en joue.

Pendant cette tranche de vie mouvementée (« 15 000 procès » et une condamnation à trois ans de prison sans suite), Elvire réside dans un squat de Clichy longtemps resté le QG de Femen France : « toujours ça de dépenses en moins niveau loyer… ». Harassée par la déferlante de haine auquel elle est quotidiennement confrontée, inquiète pour la sécurité du groupe après les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015 et surtout convaincue que le job des femen – « propulser le féminisme au-devant de la scène médiatique » – est fait, Elvire s’éloigne du mouvement en 2016. Avec, en tête, l’idée d’adopter une démarche « plus pédagogique ».

En compagnie de l’ex porte-parole des Femen, Sarah Constantin, journaliste et scénariste de Luz, elle tourne alors Clit Révolution. Une série en forme de road trip international « à la rencontre de femmes utilisant leur sexualité pour combattre le patriarcat ». En parallèle, Elvire anime le compte Instagram du même nom où les questions de plaisir féminin et de militantisme s’adressent à une large audience. « De manière générale les réseaux ont permis de démocratiser le féminisme, car on y diffuse un discours dans lequel les filles se reconnaissent ». Pas de jargon savant, mais le partage de problèmes de tous les jours. « Trouver sa chatte moche, galérer à décrocher un orgasme, être suivie dans la rue… », égrène Elvire avant de poser, résolue : « le visage du féminisme d’aujourd’hui ne serait pas le même sans les réseaux sociaux ». « Grâce à eux de nouvelles solidarités fleurissent. Beaucoup réalisent qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ont le pouvoir de créer des bad buzz ou de call out. Et une foule d’initiatives s’organisent à partir du virtuel, vers l’IRL ». Avec un retentissement médiatique que seule la maîtrise des réseaux rend possible. En 2020, elles ont publié aux éditions Des Femmes, le Manuel d’activisme féministe issue des productions de Clit Révolution.

Aujourd’hui, elle subit le contre-coup de l’hyper activité online

Le digital serait-il devenu la voie royale du féminisme contemporain ? « Il y a quand même des limites », tempère Elvire. Les algorithmes, tout d’abord, capable de censurer sans raison des comptes ou de réduire leur visibilité (shadowban). Sans oublier l’épineuse question des partenariats. Formée à la New York Film Academy aux métiers du cinéma, la trentenaire a longtemps vécu sur le fil en enchaînant les jobs d’assistante réal’ grâce à son statut d’intermittente. Lequel s’est volatilisé en 2020, la faute au Covid. « Comme pour d’autres, mon compte est alors devenu ma principale source de revenus, explique-t-elle, et il m’a fallu accepter des partenariats publicitaires avec des formats auxquels je n’adhérais pas à 100 %, quitte à culpabiliser en ayant le sentiment de trahir la confiance de ma communauté ». Une période difficile. Outre les problèmes éthiques que soulèvent les modalités de sa (modeste) rémunération, elle subit de plein fouet le contre-coup de l’hyper activité online. « Déconcentration constante, fear of missing out… ». La totale. Actuellement en « détox », elle vérifie régulièrement ses temps de connexion aux applis. Une idée de ce que ça donne, pour la semaine passée ? Elvire dégaine son smartphone. « Juste treize heures sur Instagram ». Ouf. « Ça pouvait aller jusqu’à dix par jour il n’y a pas si longtemps… », confie-t-elle, pas peu fière d’avoir freiné la cadence des quatre fers.

Sur la plateforme Patreon, elle propose du contenu contre des dons de ses 200 abonnés

Désirant « s’émanciper des contraintes liées aux partenariats », Elvire Duvelle-Charles a changé de logiciel. Depuis avril 2020, elle gîte sur la plateforme Patreon où quelque 200 abonnés lui versent mensuellement de modestes sommes. En échange de ces dons, Elvire poste du «contenu making off » exclusif, et organise plusieurs sorties « IRL ». La formule l’enthousiasme : « c’est un nouveau mode de connexion ; quelque chose se passe, il y a une ébullition ». Pas seulement à l’échelle de sa communauté: « Aujourd’hui notre agentivité est renforcée par le Net, l’organisation militante a gagné en fluidité et les jeunes sont familiarisés de plus en plus tôt aux enjeux féministes », s’emballe-t-elle. En « grande optimiste », Elvire ne doute pas que ce mouvement prenne de l’ampleur, en dépit d’une « probable flambée de l’extrême droite et du masculinisme » qui « accentuerait les clivages existants ».

Une chose est sûre, la politique des urnes ne l’attire pas. «Déprimée par une  offre politique instagrammisée », celle qui avait l’habitude d’accompagner son père dans l’isoloir pour cracher sur les bulletins de Jean-Marie Le Pen étant môme, n’accorde plus de crédit aux discours de campagne en matière de féminisme. « De la poudre de perlimpinpin », résume-t-elle en ironisant sur la formule de l’actuel président de la République.

Alors, pour bousculer l’inertie des élus, l’activiste appelle de ses vœux le retour d’un « féminisme de rue » étouffé ces longs derniers mois par les vagues du Covid. Elvire se démultiplie, s’apprête également à reprendre les live sur @clitrevolution autour de récentes publications féministes. Surtout, elle caresse l’idée de réaliser un nouveau documentaire. Son objet ? « Impossible d’en parler pour l’instant », dit-elle soudain secrète. Les infos seront à suivre sur les petits médias redoutables de la féministe online. Elvire Duvelle-Charles est un réseau à elle toute seule.

Féminisme et réseaux sociaux. Une histoire d’amour et de haine, Elvire Duvelle-Charles, Hors d’atteinte, 216 p., 17 €. Paru 17 février 2022.

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