Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Culture

Solveig Serre et Luc Robène, chercheurs de punkitude

Publié le 12 mars 2022 par

Le Grand Entretien : Avec leur dernier ouvrage, On stage/Backstage (Riveneuve), ils éclairent autant sur un mouvement contre-culturel que sur la recherche en milieu punk.

Depuis plusieurs années, Solveig Serre, historienne et musicologue, et Luc Robène, professeur à l’université de Bordeaux et musicos, animent au CNRS, le collectif de recherche universitaire PIND ( pour punk is not dead : une histoire de la scène punk en France 1976-2016). Cela a donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages roboratifs dont le merveilleux Punk is not dead (Nova, 2020).  Le dernier né aux éditions Riveneuve, On stage/ Backstage, est franchement passionnant. Le duo nous fait plonger dans une scène bizarre et pleine de promesses, celle des arcanes de la recherche sur le punk. Entretien punk U.

On stage/Backstage. Chroniques de nos recherches en terres punk, Riveneuve, 232 p., 20 €. Publication : janvier 2022.

Votre titre traite de la scène punk, mais aussi des coulisses de la science dite punk. Qu’a-t-elle de si différente des autres protocoles académiques ?

Solveig Serre & Luc Robène : Le punk est un objet fascinant par sa capacité à questionner le monde contemporain et à subvertir les structures sociales et les évidences bien ordonnées. En tant que forme d’expression musicale jouissive, explosive et radicale, en tant qu’espace de création en résistance impliquant des prises de position militantes, en tant que force de proposition, il constitue un prisme fondamental pour observer comment une société apprend à innover, à résister, à proposer des alternatives en bricolant aux marges du pouvoir ou du « Système ». Ce questionnement du monde par le punk implique une réflexion sur le rapport que la science elle-même, en tant que projet de connaissance, entretient avec le savoir produit sur le punk et les procédures qui ont permis, en contexte sensible, d’investir un objet et ses paradoxes. Le livre que nous venons d’achever est en quelque sorte le carnet de route d’un projet scientifique qui est lui-même en permanence réinterrogé par le terrain qu’il a choisi d’investir. Et la conclusion de ce travail est qu’il y a un intérêt, sinon une obligation, à construire et mobiliser une « science participative » qui implique les acteurs de la scène à différents niveaux du projet. C’est la vocation de PIND. Cette approche participative qui implique un dialogue, une relation de confiance, un échange, une co-construction des questions de recherche et du savoir, n’est pas sans poser des difficultés tant du point de vue des acteurs que des chercheurs eux-mêmes.

Solveig Serre, chargée de recherche au CNRS, musicologue et historienne de la musique.

Vos « chroniques de recherches en terre punk » pourraient aussi avoir comme sous-titre, l’étude du punk n’est pas qu’une partie de plaisir. Quels ont été les principaux obstacles que vous avez pu rencontré ?

Sur le plan institutionnel, les obstacles qu’il convient de transformer en forces peuvent être de divers ordres : représentations et stéréotypes, légitimité académique, soutiens à négocier, financements à trouver, collègues à convaincre, jalousies et égos des collègues à contourner… Le punk est encore un objet qui à la fois fascine et renvoie à des vues très courtes, sinon à des « obstacles épistémologiques » pour reprendre Bachelard, qui empêchent encore nombre de personnes de saisir l’importance du projet, en ramenant l’objet à un produit culturel bas de gamme. Pour d’autres, le punk est enfermé idéologiquement dans des carcans de vérités inaliénables.

Punk ou pas, c’est un monde tout aussi compliqué pour un chercheur qui n’y trouvera pas forcément de la bienveillance, de la facilité et de la liberté d’enquête

Heureusement, un bon bout de chemin a été parcouru depuis le début (2013). PIND est aujourd’hui davantage reconnu socialement, culturellement et scientifiquement pour le travail accompli en tant que projet pionnier sur l’histoire la scène punk en France, ce qui en retour facilite les relations avec nos institutions académiques. Mais il faudrait entrer dans le détail des rouages de la recherche et des systèmes de financement, dans le système des évaluations par les pairs, pour comprendre que rien n’est gagné sur le long terme et que tout se rejoue au gré des conjonctures, des moments et des personnes. Nous bénéficions actuellement du soutien et de la confiance de nos unités de recherche et de leurs tutelles (Université, CNRS, DRAC) mais cette reconnaissance n’est pas forcément convertible immédiatement en moyens ou en financements destinés à soutenir la recherche. Il faut savoir que pour l’essentiel, les contrats de recherche sont externalisés, et que désormais pour financer ce type de projet, il faut passer sous les fourches caudines d’agences qui tiennent les cordons de la bourse. Or à ce stade un effort certain reste à faire pour convaincre les experts et les structures qui financent la recherche du bien-fondé, de l’originalité, de la nécessité et de l’importance de ce que nous faisons. D’autre part, paradoxalement, la réussite de PIND suscite beaucoup de jalousies, de craintes, dans un monde où les égos sont surdimensionnés. Mais les reconnaissances et les soutiens se gagnent à la dure et dans la durée. Nous bénéficions d’appuis du côté du ministère de la Culture, de la DRAC Île-de-France, d’un certain nombre de financeurs issus du monde de la culture, de partenaires comme le Réacteur (Issy-les-Moulineaux). Nous avons convaincu également nombre de collègues et de partenaires à l’étranger. Bref, ce combat est un work in progress, mais il n’est pas vain.

Sur le plan humain, les rapports entre les personnes ne sont guère différents de ce qu’ils peuvent être dans la société : il y a ceux qui font et ceux qui regardent, ceux qui font et ceux qui voudraient faire, ceux qui jugent mais ne font pas grand-chose. Il y a le projet tel que nous nous le représentions et ce qu’il est devenu positivement ou parfois de manière plus inattendue, parce qu’il faut justement adapter nos désirs aux réalités humaines, faire preuve de pragmatisme. C’est le lot de tout projet ou de toute entreprise humaine ! Simplement, comme toujours, il y a une chape idéologique qui fonctionne ici à l’inverse : ça devrait marcher puisque c’est le punk et que les gens sont supposés être motivés, ouverts, déterminés par l’horizon de leurs propres convictions… Et puis on se rend compte que finalement, même là, ça va être compliqué ! 

Notre livre On stage/Backstage essaie de rendre compte de cette richesse et de ce rapport entre idéal et pragmatisme, entre croyances et réalité.

Ce travail de recherche a été d’une richesse incommensurable, malgré les obstacles et les jalousies

A vous lire, c’est aussi un enchantement. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Pour les mêmes raisons, ce travail est d’une richesse humaine incommensurable. Nous y avons rencontré des gens merveilleux, sensibles, nous avons organisé ou participé à l’organisation d’événements incroyables, nous avons construit des réseaux de façon singulière mais incroyablement chaleureuse, forte, sensible, et avons vécu et vivons toujours la recherche comme une quête ou un partage dont nous pressentons l’importance à chaque instant. Et le fait même d’être obligé de se remettre en question en permanence, de reprendre et d’affiner ce travail, d’en imaginer les orientations futures, est aussi une force qui nous a permis de sortir des sentiers battus, des évidences, de projeter notre travail dans des dimensions que nous n’avions même pas imaginées au départ. Lorsque nous regardons les divers projets soumis aux financeurs depuis 2014 et ce que nous en avons fait au fil du temps, nous sommes très fiers du chemin parcouru ! Le livre que nous publions est à cet égard un élément fondamental en ce qu’il permet de faire le point sur cette avancée et surtout de partager un cheminement, les heurs et malheurs d’une aventure scientifique et humaine ! mais plutôt ses bonheurs !

Travailler sur le punk vous a conduit à une approche de recherche pluridisciplinaire. Comment la décririez-vous ?

Le punk est à la fois une musique, un engagement, une esthétique, une posture. Mais c’est avant tout une musique ! Sans bande-son, il n’y a pas de punk. On peut dire ce que l’on veut, gloser sur la dimension militante, politique, sociale, du punk a posteriori, ou s’y retrouver pour des raisons idéologiques : il n’y a rien sans musique. C’est à la fois l’un des points d’entrées et l’un des principaux résultats de nos recherches. Cette musique est au cœur de l’explosion punk en tant que matérialité sonore, sensible, qui meut les acteurs, et crée de l’émotion partagée ! Cette musique renvoie à un contexte historique et social, et dit ce que chaque génération a placé dans cette révolte musicale ouverte sur un monde à changer. Elle est première et génère par cercles concentriques une esthétique ou implique une prise de parole, et définit à terme un être au monde punk. Nos collègues anglais ont des approches sensiblement différentes. Ils considèrent que l’entrée par le politique est décisive et se concentrent essentiellement sur l’anarcho-punk. Cette approche différentielle suggère et confirme, s’il le fallait, que les contextes nationaux ont été déterminants dans ce qu’est le punk, ce qu’il a été ici et là, jusque dans la manière de le questionner et de l’étudier. Cette dimension différentielle, enrichissante pour ce qu’elle est en elle-même (une autre approche du punk) est aujourd’hui un élément fondamental de PIND. Notre projet, comme nous le montrons dans la conclusion du livre, réfléchit désormais à la manière dont la scène punk en France s’est immédiatement projetée dans le monde et comment elle s’est réfléchie dans des enjeux qui dépassent l’Hexagone, ou encore comment cette scène est indissociablement liée à une transformation plus globale du monde.

Luc Robène, professeur à l’Université de Bordeaux et guitariste du groupe The Hyènes.

Vous évoquez l’articulation entre violence et phénomène punk, est-ce uniquement le reflet de la société ?  Y a-t-il des éléments endogènes à cette contre-culture ?

Cette articulation entre punk et violence est au cœur même de la musique (simple, énergique, efficace, idéologiquement en rupture avec les productions mainstream ou devenues mainstream du rock) et, par extension, est consubstantielle de l’expression même du punk : choquer, subvertir, se placer en rupture, développer une radicalité propre au punk, propre à chaque génération punk. Si l’on réfléchit bien, dès le départ le punk a été perçu comme violent pour les raisons inhérentes à ce qu’il est fondamentalement : une critique de l’ordre établi, la contestation d’une société que l’on rejette ou dont on rejette les normes, une critique de l’establishment… Cette contestation est bien évidemment perçue comme violente (et c’est le but) par le reste de la société.

Sur le plan esthétique, en 1977, prôner l’enlaidissement, l’hypersexualisation des looks, se reconnaître et se définir comme une merde… c’est aussi violent ou perçu depuis l’extérieur comme violent.

En définitive, la posture radicale du punk est effectivement au moins pour les premières générations, un élément qui structure l’ethos punk. La musique, le verbe, le look, concourent à définir une posture qui est perçue par le reste de la société et donc construite socialement comme « violente ». À ce stade on pourrait dire qu’elle devient un élément structurant de l’identité punk.

La mémoire punk et la mémoire du punk sont considérées comme un microphénomène, résumé pour faire vite aux Sex Pistols. Pourquoi cet univers dépasse-t-il largement ce cadre à la fois musicalement et politiquement ?

La mémoire est sans doute le matériau le plus riche et le plus inflammable dont dispose l’historien. La mémoire louvoie, est trompeuse, oublie ou survalorise. Tous les ouvrages de méthodologie de la recherche en conviennent. S’agissant des cadres collectifs de la mémoire nous avons très tôt travaillé sur la place des médias dans la fabrique des imaginaires du punk (avant Internet) et notamment sur la façon dont ils ont à leur manière construit le punk, mais également « l’âge d’or » du punk (1977, les Sex Pistols), et une bonne partie des représentations attachées au punk. Au-delà du sensationnalisme qui a marqué l’essor de la formation britannique emmenée par l’infatigable Malcolm McLaren (dont l’expérience précédente aux États-Unis avec les New York Dolls avait été un relatif échec), il faut reconnaître aux Pistols un sens de la communication absolument sidérant (en quelques mois ils sont interdits partout et incarnent cette violence du verbe et de la posture évoquée plus haut), allié à une musique (nous y revenons) elle aussi stupéfiante par sa modernité et son efficacité (l’album est absolument indémodable).

Reste justement la question essentielle à laquelle nous travaillons : comment ce groupe, iconique de la vague britannique, devient également l’arbre qui cache la forêt punk ? Car cette « forêt », précoce  est vivace et est marquée par l’essor simultané en occident (USA, Europe, Australie) d’une vague largement anticipée par nombre de formations dès les années 1973-1974 : les Ramones attaquent les concerts en avril 1974 à NY, au même moment les Saints font de même à Brisbane, au même moment, en région parisienne (pour ne parler que de Paris), tous les éléments qui vont marquer l’essor de la première génération punk sont en place pratiquement dès 1972 : réseaux de musiciens et de groupes qui préfigurent les formations des  Metal urbain, Aspahlt Jungle, Stinky Toys, Bijou, etc.

Revenir vers l’histoire globale du punk en changeant de focale et en décentrant le regard des évidences anglo-américaines, est nécessaire pour comprendre à la fois le punk et les représentations qui le trament. C’est la prochaine étape du projet PIND.

Trouver la bonne distance en recherche punk, c’est aussi questionner ses propres engagements et sa propre histoire de chercheur

Êtes-vous des keupons de la recherche ?

D’abord, le terme de « keupon » est en lui-même très daté (années 1980, deuxième génération punk, scène alternative) ! En fait, nous mettons en œuvre une recherche adaptée sensiblement et humainement à son objet. La question de la reconnaissance mutuelle entre chercheurs et acteurs de la scène, celle de la construction des réseaux ou du partage des connaissances, la dimension anthropologique même de la recherche, impliquent de la part du chercheur une posture qui est en permanence questionnée et non une posture dogmatique et distante. La question est justement de « trouver la distance » pour reprendre le titre d’un morceau de Strychnine ! Trouver la bonne distance, c’est aussi questionner ses propres engagements, sa propre histoire et les raisons pour lesquelles on est engagés dans ce travail. Nombre de chercheurs qui nous accompagnent ont été musiciens ou le sont encore, ou fanzineurs, ou membre des collectifs et orgas. C’est une force (culture de l’objet, réseaux, reconnaissance) mais une force qui doit être en permanence questionnée, calibrée, adaptée, sous peine de produire des effets contraires (enfermements dans des certitudes, points aveugles, tournage en rond) et des aveuglements idéologiques (« professeurs de punk », police de la pensée punk).

Il nous semble que la force de notre projet tient à ce que collectivement nous avons progressivement inventé un modèle scientifique qui place en adéquation l’objet, la force d’une équipe impliquée dans la scène et celle des acteurs de la scène qui sont venus vers nous : une progressive reconnaissance, une manière de s’apprivoiser mutuellement. La convivialité (par exemple le fait de convier tous les participants aux repas, événements produits lors des journées d’études), le rythme soutenu des rencontres qui crée la reconnaissance, identifie et signale à un public large le projet comme repère « punk » légitime, la production d’événements culturels en lien direct avec le projet, avec le punk, les partenariats avec les mondes de la musique, notamment punk, les relations privilégiées avec toute une génération d’acteurs désormais aux leviers de commande des lieux culturels, dans les médias, dans la culture, constituent à la fois la force, l’originalité et la pertinence du projet PIND,  dont l’envergure dépasse nos petites personnes !


Ultime victoire de la recherche punk, le symbole du rock alternatif, la deuxième génération punk en France que sont les Berurier noir viennent de faire l’objet d’un colloque les 11 et 12 mars à la Bibliothèque nationale. Les chercheurs du punk ont pu faire leur miel des archives du chanteur et du saxophoniste des Béru. Le colloque fut suivi d’un concert.

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