Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Les jeunes, parents pauvres des élections présidentielles

Publié le 23 mars 2022 par

L’idée : Les sociologues Camille Peugny et Tom Chevalier ont décortiqué pour Terra Nova, les propositions des candidats à l’Élysée pour ce qui concerne les politiques publiques de la jeunesse. Et recommandent dans le désert des idées politiques, une vraie citoyenneté sociale et une mise à plat de la conception des cycles de la vie.


Le phénomène des étudiants précarisés en aide alimentaire durant les confinements de 2020 et 2021 avait retenu l’attention des correspondants de la presse étrangère.

En 2020 et 2021, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques a observé une hausse de 7 points de la part des aides alimentaires. Les aides individuelles via le FAJ (Fonds d’aide aux jeunes) couvrent différents besoins, et 60 % d’entre elles ont eu dans cette période, une finalité alimentaire. Le symbole est lourd. Et les profils changent. En 2020 encore, note l’étude de la Drees : 60 % des bénéficiaires n’étaient ni scolarisés, ni en emploi, ni en stage rémunéré, contre 55% en 2019. « À l’inverse, les jeunes en emploi ou en stage rémunéré et les étudiants étaient moins nombreux en 2020 qu’en 2019, en effectifs comme en proportion parmi les bénéficiaires.»

Le think tank Terra Nova, dans le cadre de sa Grande conversation de la présidentielle, a décortiqué chiffres et propositions des candidats à l’Elysée. Les rédacteurs de la note, Camille Peugny, sociologue (CNRS, laboratoire Printemps) et rédacteur en chef de la revue Travail et Emploi, et Tom Chevalier, spécialiste des politiques publiques chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes observent : « Selon le Baromètre d’opinion de la DREES, 52% des répondants considèrent en 2020 que les 18–29 ans ont un risque de pauvreté plus important que la moyenne des Français, 43% considèrent qu’il est équivalent, et 4% jugent que leur risque est moindre. Une majorité a donc conscience des difficultés sociales que rencontrent les jeunes dans leur transition vers l’âge adulte, obligeant les hommes et femmes politiques à prendre en compte ce sujet ».

De nombreux clivages polyfracturent la jeunesse française. Mais c’est avant tout la conception d’un âge particulier et fragile de la vie que semblent mal prendre en compte depuis des années, les politiques publiques et les actuels candidats à l’Élysée

« C’est tout d’abord la dégradation de la situation de certaines franges de la jeunesse qui nécessiterait de manière évidente que le débat présidentiel s’arrête sur ces questions, et ce d’autant que cela n’est pas sans produire d’effet sur l’intégration des jeunes et leur participation à la vie démocratique », pointent les deux auteurs. Leur note très nourrie décrit une jeunesse fracturée et sous la menace d’une précarisation accrue. Largement sous-représentés, il n’en reste pas moins que « les enfants d’ouvriers et d’employés constituent désormais le quart des effectifs de l’enseignement supérieur. Parmi eux, un nouveau public étudiant, présent notamment dans les premiers cycles universitaires, évoluant sur le fil de la précarité, est apparu aux yeux de tous durant le premier confinement du printemps 2020 : privés d’un emploi sans lequel ils ne pouvaient financer leurs études, certains d’entre eux étaient tributaires des distributions alimentaires pour se nourrir. Leur expérience de la vie étudiante diffère assez fortement de celle vécue par les étudiantes et étudiants appartenant à des familles plus aisées, surreprésentés quant à eux dans les filières sélectives.»

Mais de nombreux clivages polyfracturent la jeunesse : les invisibles des zones rurales, les discriminations territoriales, les différences de genre et les origines ethno-raciales. Surtout, « la jeunesse demeure un âge particulier de la vie, marqué par une relative fragilité». La sociologie anglophone a qualifié cet état d’ «effet-cicatrice ». Observé d’abord chez les jeunes chômeurs japonais dans les années 1990, le terme indique l’instabilité existentielle qui découle elle-même de l’incapacité à trouver un emploi stable dans la durée. Les politiques publiques français ont institué un statut social particulier qui sécrètent des citoyens infantilisés, de seconde catégorie, jusqu’à leurs 25 ans.

Plutôt que les lois du marché ou la solidarité familiale, des politiques publiques fortes, encadrées par l’État pourraient faire progresser la mobilité et la citoyenneté sociale des jeunes

Passant au tamis, les différentes propositions des candidats ( à l’exception de Lutte ouvrière qui n’en a aucune), les chercheurs analysent « un lien [qui] peut en effet être établi entre le type de citoyenneté socioéconomique des jeunes (et donc le type de politiques publiques) et leur degré de confiance institutionnelle : en contrôlant les autres caractéristiques, les jeunes des pays scandinaves, qui mettent en œuvre une citoyenneté « habilitante », se montrent significativement plus confiants que les autres ». La défiance et un relatif pessimisme des jeunes français, notamment en période électorale, elle, s’auto-alimenterait à cause d’un modèle qui figerait et infantiliserait leur citoyenneté.

«Il existe en Europe un gradient géographique net, rappellent les deux spécialistes. La mobilité sociale progresse à mesure que l’on chemine vers le Nord de l’Europe et les pays scandinaves se caractérisent par une reproduction des inégalités beaucoup plus faible que les pays du sud de l’Europe. Quant aux pays « libéraux », comme le Royaume-Uni (mais aussi les États-Unis de l’autre côté de l’Atlantique), ils sont ceux qui présentent les flux de mobilité sociale les plus ténus ». Leur hypothèse : « Ces résultats semblent indiquer que les pays proposant des politiques publiques fortes, encadrées et financées par l’État, obtiennent de meilleurs résultats que ceux qui font confiance au marché ou à la famille pour accompagner les jeunes vers l’âge adulte et l’autonomie ».

Le cas français pâtit, selon Camille Peugny et Tom Chevalier, d’« une conception datée des différents temps de l’existence : on étudie, le plus et le plus vite possible, on s’insère sur le marché du travail, plus ou moins rapidement, on travaille quatre décennies avec un système de formation continue relativement peu développé et qui profite en tout cas davantage aux diplômés de formation initiale qu’aux travailleurs peu qualifiés, puis on est inactif.» La note de Terra Nova recommande « une souplesse dans l’articulation de ces différents temps de la vie », à même de faire progresser l’égalisation des conditions et une citoyenneté sociale moins précaire, et déplore un manque d’ambition certain sur ce thème chez les petits chevaux de l’Élysée 2022.

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