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Suppression de la redevance audiovisuelle : le cauchemar espagnol nous attend

Publié le 25 mai 2022 par

Par Philippe Bailly, fondateur et président de NPA conseil, spécialisée dans la transformation numérique des contenus médias et entreprises, la veille des nouvelles dynamiques d’innovation et des nouveaux modèles économiques .


Évoquée plusieurs fois pendant la campagne des élections présidentielles, la suppression de la redevance audiovisuelle a été confirmée le 11 mai. Elle devrait être adoptée pendant l’été 2022 et sera donc effective en 2023… sans qu’on sache aujourd’hui la façon dont France Télévisions, Radio France, Arte, France Média Monde et l’INA seront demain financés. Derrière la volonté de « protéger le pouvoir d’achat » mise en avant par le gouvernement, professionnels et partis de gauche soupçonnent un agenda caché visant à réduire les moyens de l’audiovisuel public français. L’exemple de la RTVE espagnole n’est, de ce point de vue, pas rassurant : une étude réalisée par NPA Conseil montre que sa dotation budgétaire annuelle a diminué de 23,5% entre 2010, année de la réforme Zapatero, et 2022. Dans la même période, la part d’audience des deux principales chaînes publiques a perdu plus de 10 points. Les services de SVoD semblent en avoir profité davantage que les chaînes de télévision privées en clair.

Créée en 2007, la RTVE est organisée sur un modèle proche de celui de la BBC au Royaume-Uni. Elle regroupe les chaînes de télévision (La 1, La 2 et la chaîne jeunesse Clan principalement) et stations de radio (RNE et Radio Clàsica notamment) diffusées en Espagne, et elle a également la charge de l’audiovisuel extérieur. En 2021, ses ressources s’élevaient à 1,1 Md€, soit un tiers de moins par habitant que les entreprises de l’audiovisuel public français, d’après les données de l’UER.

Une dotation budgétaire en baisse de 23,5% par rapport à 2010

Jusqu’en 2010, le groupe était financé, pour moitié/moitié environ, par la publicité et par le budget de l’Etat, l’Espagne n’ayant jamais institué de redevance audiovisuelle. Dans la suite de la réforme conduite en France par Nicolas Sarkozy, le gouvernement Zapatero supprime alors la publicité sur les chaînes publiques, limitant ses ressources commerciales aux seules recettes de parrainage. En 2021, ces dernières se sont élevées à 90 M€, soit 5,5% de part du marché espagnol de la publicité TV (source : CNMC).

Le reversement du produit d’une taxe sur l’utilisation des fréquences (410 M€ par an) et une taxe prélevée sur les opérateurs télécom (180 M€) doivent compenser cette perte ; le budget général de l’Etat, mais aussi l’accumulation des déficits, et la dette (364 M€ à la mi 2021), assurent le solde du financement de la RTVE.

Cette contribution de l’État est marquée par une extrême instabilité avec, par exemple, une chute de plus de 250 M€ entre 2011 et 2012. « C’est au caractère crucial de prévisibilité que les pouvoirs publics doivent s’atteler pour établir des perspectives pluriannuelles dès l’exercice 2023 », notait comme en écho la députée Céline Calvez, dans le rapport sur les avances à l’audiovisuel public qu’elle a rendu dans le cadre de l’examen du projet de loi de Finances pour 2022. Cette notion contribue à apprécier le niveau « d’indépendance par le financement ».

La diminution des moyens consacrés par l’Etat à la RTVE public représente l’autre constat d’évidence : la dotation pour 2022 est de 23,5% inférieure à celle de 2010, en euros courants, et de presque 40% si l’on tient compte du niveau de l’inflation entre ces deux dates (16% d’après les chiffres de l’INE, équivalent local de l’INSEE).

Plus de 10 points de part d’audience perdus

La réduction des moyens des chaînes publiques s’est traduite, plus que proportionnellement, dans l’évolution de leurs parts d’audience : entre 2010 et 2021, le cumul de la 1 et de la 2 a perdu plus de 10 points sur le public des 14 ans et + pris pour référence par l’AIMC, revenant de 23,1% à 12,8%. A titre de comparaison, et malgré le lancement des 6 nouvelles chaînes TNT HD de 2012, l’érosion a été inférieure à 3,5 points au cours de la même période, pour France 2 et France 3 (de 28,3% à 24,9%, sur la cible 15 ans et + ; source : Médiamétrie).

Cet effondrement n’a que très partiellement profité aux chaînes privées leaders du pays : si Antena 3 a gagné plus de 4 points de PDA sur la période, la position de La Sexta, par exemple, s’est, elle, érodée. Et c’est surtout l’attractivité du média TV, dans son ensemble, qui semble avoir pâti de l’incapacité des chaînes publiques à « tenir leur rang » : quand la durée d’écoute a progressé de 11 minutes en France, entre 2010 et 2021, elle a perdu près de 20 minutes en Espagne sur la même période.

En dernier ressort, la SVoD, et particulièrement les plateformes américaines qui dominent le secteur, apparaissent comme les premiers gagnants de la période : la proportion de foyers abonnés à un service au moins atteignait 58% à la fin 2021, contre 49,5% en France (source : Baromètre OTT NPA Conseil Harris Interactive).

Et le leader Netflix y était alors présent dans plus d’un foyer sur deux, soit plus de 12 points de plus qu’en France (37,8%).

Une « prime à l’échec » pour les dirigeants de la RTVE

Quant aux modalités de financement prévues par la réforme lancée à l’été 2021 par le gouvernement de Pedro Sanchez, elles reviennent à instituer une forme de « prime à l’échec » pour les dirigeants de l’audiovisuel public : en remplacement de la taxe jusqu’alors versée par les opérateurs télécom, elle prévoit en effet que les chaînes privées gratuites contribuent au financement de la RTVE à raison de 3 % de leurs revenus annuels, et que les SMAD et les plateformes de partage de vidéos lui en reversent 1,5%.

Des chaînes publiques performantes en audience, qui feraient de l’ombre à leurs homologues privées et réduiraient leur capacité de collecte publicitaire ou, s’agissant des services payants, l’incitation à s’abonner, verraient donc leur financement se réduire. Et inversement. Céline Calvez [députée LREM (ex-Renaissance) des Hauts-de-Seine/NDR] n’a pas intégré ce schéma parmi les quatre scénarios de remplacement de la redevance qu’elle avait présentés à l’automne 2021. Sans doute faut-il s’en réjouir.


Tribunes, points de vue, plaidoyers, analyses ou disputes : les opinions exprimées dans cette rubrique ne reflètent pas systématiquement la ligne éditoriale des Influences.

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