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Prisonniers de guerre 1940-2022

Publié le 3 octobre 2022 par

L’info : Longtemps sous-étudiée, l’histoire des prisonniers de guerre français de 1940 prend du relief avec cette nouvelle recherche, dirigée par Fabien Théofilakis (Fayard), et résonne sur l’actualité ukrainienne.


Lire en ce moment l’étude Les Prisonniers de guerre en 40 (Fayard) est comme une saisissante expérience de pensée. Qui n’échappe pas à son auteur principal, l’historien Fabien Théofilakis (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), lorsqu’on le rencontre chez son éditeur, en train de dédicacer une pile d’ouvrages : « En effet, on n’avait pas connu un tel événement en Europe depuis la seconde guerre mondiale ». À savoir la gestion massive de prisonniers de guerre (PG), et leur condition normée par la convention de Genève de 1929. L’invasion russe en Ukraine a ravivé une « histoire longtemps sous-étudiée », selon l’historien Henry Rousso qui préface cette belle étude, clairement écrite et bien illustrée, née d’une commande du Mémorial de l’internement et de la déportation, basé près de Compiègne. Sous étudiée ? « Oui, démographiquement, aucune famille française n’a échappé au sort d’un proche fait prisonnier en 40. Mais on ne dira jamais assez le poids des mémoires honteuses. Une chape de honte a pesé sur les prisonniers de guerre, ils n’ont pas vraiment après-guerre trop remuer leurs souvenirs de vaincu et de captif, et leur témoignage d’une déroute générale », explique l’historien.

En juin 1940, la convention de Genève inaugurait  ses principes de façon massive : ce furent 1 800 000 P.G français  qui tombèrent, en six semaines, dans la main de l’ennemi quitte à le désarçonner et l’obliger à une improvisation quasi totale. « Il y eut une gestion technique comme s’il s’agissait de bétail humain : mise en troupeau, parcage et trains de marchandise », résume le chercheur. On connaît les stalags et les kommandos en Allemagne, beaucoup moins ces centres de tri que constituèrent les fronstalags, implantés en France même. Une cinquantaine de ces camps de rassemblement, censés être temporaires, comptera jusqu’à 440 000 prisonniers en septembre 40. Il faudra également compter sur les milliers de kommandos de travail dépendant de ces structures. « Or être captif en France même a été une condition moralement et matériellement inconfortable. Par exemple, leurs familles, pourtant si proches géographiquement, se voyaient dans la quasi impossibilité de communiquer avec eux, car les correspondances n’étaient livrées qu’aux adresses connues et définitives, c’est-à-dire les stalags », observe Fabien Théofilakis. Les prisonniers des frontstalags ne sont pas mieux lotis que leurs frères d’armes expatriés. « Ce qui manque dans les archives, ce sont les odeurs, l’idée de la crasse et de la faim, et la chosification des vaincus dans un univers nazi qui, convention de Genève ou pas, continue sa logique », souligne Fabien Théofilakis.

« Il y eut une gestion technique des prisonniers de guerre, comme s’il s’agissait de bétail humain : mise en troupeau, parcage et trains de marchandise »

Fabien Théofilakis, historien, spécialiste de la captivité de guerre

 Compiègne, épicentre même de la défaite et de la revanche allemande, a eu son frontstalag à Royallieu, étudié ici. Les historiens Amaury Bernard, Robin Lambert, Daniel Palmieri, Raffael Scheck et Manon Zakrewski qui ont travaillé avec Fabien Théofilakis ont envisagé des angles neufs sur ce type de détention de guerre. Le tout début de l’événement. Les captures massives de mai-juin 1940 et l’engrenage des logiques d’improvisation du vainqueur. La condition quotidienne du captif de frontstalag. Le rôle conventionnel de la Croix-Rouge. La société française et leurs absents. L’enjeu d’une main d’œuvre. Ou le tri racial.  Ainsi, la présence en frontstalag, des prisonniers des troupes coloniales : 1 500 à 3 000 auraient été exécutés par les SS et quelques bataillons, notamment en juin lorsque les troupes françaises résistaient, mais 30 000 demeurèrent prisonniers, leurs conditions de captivité relevant de la loterie. « Les camps, considérés au début comme des lieux de rassemblement temporaires, deviennent des structures de captivité pour les soldats français que le régime nazi ne désire pas garder en Allemagne pour des raisons racistes », instruit Raffael Scheck. Dans les frontstalags comme ailleurs, on s’éloigne du statut de Genève : ces soldats deviennent des travailleurs forcés. 13 500 prisonniers coloniaux français seront employés dans le creusement de fossés anti-chars par la Wehrmacht en France, mais aussi de septembre à octobre 1944, en Allemagne.

Mais le poids symbolique, politique, financier du PG a changé en comparaison de 14-18, où un Charles de Gaulle capturé était considéré, comme tous les autres, en rebut de la guerre. « L’usage médiatique et politique des prisonniers de guerre est devenu rapidement le mantra du régime de Vichy », rappelle Fabien Théofilakis. Leur sort devient un enjeu, si ce n’est un mastic de propagande de la « Révolution nationale », prouvant aux familles que personne n’est oublié.

La thèse et le premier livre de Fabien Théofilakis, chercheur qui s’intéresse aux « entrées et aux sorties de guerre », étaient consacrés au million de prisonniers de guerre allemands. Les fronstalags accueillirent les geôliers d’hier, soldats et civils allemands – que surveillèrent à leur tour, des soldats coloniaux… La période de la Libération jusqu’en 1949 a constitué, là aussi, un défi d’organisation des nouveaux prisonniers, « 70% des PG allemands avaient été arrêtés par les Américains, mais ce sont les Français qui devaient assurer la mise en place d’infrastructures et les nourrir ». Leur captivité devint un enjeu à la fois idéologique (l’Ouest sait mieux s’occuper de ses prisonniers que les barbares nazis et soviétiques), financier (qui paie leur prise en charge ?) et politique (qu’en faire ?). » Aujourd’hui, note l’historien, « l’établissement d’une nouvelle économie morale de la reconnaissance fondée sur la souffrance et la victime (innocente) sort désormais le soldat vaincu de l’invisibilité vis-à-vis du résistant. » La malédiction du vaincu pourtant ne semble pas totalement levée.

Les prisonniers de guerre en 40, Fabien Théofilakis (dir.), Fayard, 382 p., 29 €. Paru 6 octobre 2022.


PG russes et ukrainiens

Des centaines, des milliers ? Où sont-ils et combien sont-ils ? Au tout début du conflit, chacune des deux parties usa de ses moyens de propagande pour montrer tout à la fois la défaite patente de soldats capturés, mais aussi le bon traitement civilisé à leur égard. Sur YouTube, on vit aussi une débauche de vidéos de soldats humiliés, tabassés, ou exécutés, beaucoup moins amènes et respectueuses. Depuis, le nombre de PG ukrainiens ou russes fait partie de la guerre de l’information. Le CICR, en 1940 comme en 2022, sert de médiateur neutre. Lors du siège de l’usine Azovstal, il a pu aider à la sortie de civils, mais aussi des rescapés du bataillon Azov « en toute sécurité, en coordination avec les parties au conflit », les a enregistrés, mais les a perdus de vue par la suite. En août, des PG ukrainiens emprisonnés au centre de détention d’ Olevnika ont été bombardés, sans que l’ONG soit autorisée à se rendre sur-place, prendre connaissance exacte de leur état, et encore moins de les aider.

« En vertu de la troisième Convention de Genève, le CICR doit pourtant être autorisé à accéder à tous les prisonniers de guerre, où qu’ils soient détenus, lors de conflits armés internationaux, indique le site de la Croix rouge. Nous avons également toute liberté de choisir les lieux que nous souhaitons visiter. Or depuis février 2022, nos équipes ont pu avoir accès à certains prisonniers de guerre, mais pas à tous. » E.L


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