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#Eau #Ecologie #Politique #Prévention

Politique de l’eau : Les sénateurs sont un peu à sec

Publié le 9 février 2023 par

Au rapport ! Marc Laimé, spécialiste des politiques publiques de l’eau, fait une lecture critique de la dernière livraison sénatoriale sur le sujet, « Comment éviter la panne sèche ? Huit questions sur l’avenir de l’eau en France ».


Marc Laimé pour Les Influences

Nanni Moretti dans Journal intime.1993. DR

Canicule, sécheresse, incendies… Comme un utile pense-bête, La Délégation à la prospective du Sénat présentait le 7 décembre dernier, une stratégie territorialisée de maîtrise de l’eau, en utilisant tous les leviers de la sobriété et de la mobilisation de la ressource, y compris la construction de retenues de substitution supplémentaires. Faisant suite à d’innombrables rapports similaires, sans compter des manifestations comme les « Assises de l’eau » (2018-2019) ou le « Varenne de l’eau » (2021-2022). S’il pose un diagnostic remarquable, il prône « en même temps » un éventail de mesures, qui ont déjà témoigné de leur inefficacité. Devrons-nous apprendre à nous passer de l’eau dans un contexte de stress hydrique accru sous l’effet du changement climatique sur la quasi-totalité du territoire hexagonal ?  C’est tout le mérite de ce rapport d’information de 166 pages, signé Catherine Belrhiti (LR), Cécile Cukierman (Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste), Alain Richard (Rassemblement démocrates, républicains et indépendants) et Jean Sol (LR), et intitulé « Comment éviter la panne sèche ? Huit questions sur l’avenir de l’eau en France », de poser la question en ces termes.

L’effort pédagogique est indéniable, et le pari réussi, avec huit entrées déclinant les chapitres d’un véritable « Que-sais-je » de la gestion de l’eau :

  • Quelles sont nos utilisations de l’eau ?

  • Quels sont les changements attendus du cycle de l’eau ?
  • Comment gère-t-on les conflits d’usage ?

  • Quelle est la bonne gouvernance de l’eau ?

  • Quelles sont les données sur l’eau disponibles et nécessaires ?
  • Peut-on accroître la quantité d’eau mobilisable ?

  • Où en est-on en matière de qualité de l’eau ?

  • Quels sont les enjeux financiers de la politique de l’eau ?

La France demeure un pays bien doté avec des précipitations suffisantes pour répondre à de multiples usages – 32 à 35 milliards de m3 sont ainsi prélevés par an pour le refroidissement des centrales nucléaires, l’eau potable, l’agriculture, l’alimentation des canaux, l’industrie, etc. -, mais les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau se font néanmoins déjà sentir, y compris dans les bassins plus septentrionaux, provoquant notamment l’eutrophisation des cours d’eau, l’évaporation à un rythme plus rapide et la diminution des pluies en été, à tel point que plus d’une centaine de communes ont eu recours à des camions-citernes pour se ravitailler en eau potable en août dernier.
Le rapport souhaite éviter le « scénario catastrophe », qui se traduirait par l’abandon d’exploitations agricoles, des ruptures ponctuelles d’approvisionnement en eau potable et une dégradation des écosystèmes dépendant de l’eau. Il promeut, à contrario, un « scénario vertueux de gestion apaisée », qui suppose de faire face à une moindre disponibilité estivale un peu partout, « à travers l’anticipation des difficultés et la mise en place d’un partage de la ressource entre tous les secteurs qui en dépendent »

On est toutefois surpris  de lire que la gestion de l’eau a été « laissée aux techniciens » et que « l’intercommunalisation » de la compétence eau et assainissement exigerait « une re-politisation » de sa gouvernance et un renforcement de l’échelon local de prise de décision. La démarche des schémas d’aménagement et de gestion des eaux (Sage) et plus récemment des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), emblèmes de la « sobriété concertée » défendue par les rapporteurs, s’inscrirait dans cette logique de différenciation. Il convient dès lors d’accélérer leur adoption et de « laisser aux acteurs locaux le soin de définir ce que sont les aménagements acceptables pour eux ».

À rebours des décisions gouvernementales adoptées depuis près de deux décennies, le rapport propose aussi d’augmenter les moyens des agences de l’eau, pivot financier de la politique de l’eau, pour réviser à la hausse les programmes d’intervention, par exemple en leur affectant une part supplémentaire de la taxe d’aménagement départementale, à hauteur de 200 à 250 millions d’euros par an. Il est vrai que c’est Alain Richard, l’un des quatre co-rapporteurs, ancien hiérarque socialiste passé en Macronie, qui a élaboré à cet effet avec l’un de ses jeunes collègues auvergnat du Modem, ce projet destiné à être adopté en loi de Finances, qui a été retoqué par Bercy…

Par ailleurs il défend une baisse de taux de TVA sur la partie « assainissement » des factures d’eau (de 10 à 5,5%) qui pourrait donner d’importantes marges financières nouvelles, soit aux agences de l’eau, soit directement aux services d’assainissement. La tentation de mettre davantage à contribution les usagers de l’eau n’emporte pas son adhésion, car augmenter le prix de l’eau pour inciter à réduire la consommation « entraînerait d’abord une pénalisation des utilisateurs de l’eau, sans forcément avoir beaucoup d’impact sur les volumes mobilisés ». Dès lors l’orientation majeure c’est la sobriété, avec un objectif fixé par les Assises de l’eau de réduction des consommations d’eau de 10% en 2025 et 25% en 2035. Il s’agit « d’une réponse assez simple, immédiate et peu coûteuse », en tout cas moins coûteuse que la réalisation de lourds aménagements hydrauliques.

Le rapport table aussi sur des « aménagements fondés sur la nature » pour mieux maîtriser le cycle de l’eau : désimperméabiliser, en particulier en milieu urbain, pour favoriser l’infiltration de l’eau de pluie ou encore apporter de la fraîcheur dans les villes lors des pics de chaleur. Mais la lutte contre le gaspillage ou la surconsommation « n’est pas un chemin facile » et les marges de manœuvre « limitées », pointe-il. Ainsi la chasse aux fuites dans les réseaux d’eau potable (1 milliard de m3 par an, soit 20% de l’eau distribuée), « ne permettra pas d’économiser l’eau au-delà de quelques centaines de milliers de m3 sur l’ensemble du territoire français », et ne pourra se faire qu’au prix d’investissements « lourds ».

DR

L’effort de sobriété repose avant tout sur l’agriculture, secteur le plus consommateur durant la période estivale, période des tensions sur l’eau. La souveraineté alimentaire, qui devient un enjeu stratégique, pèse toutefois lourd dans la balance. Afficher un objectif chiffré global de réduction des consommations d’eau par le secteur agricole apparaît en outre « peu réaliste ». Ce sont davantage des actions locales qui doivent être menées pour réduire les besoins en eau lorsque cela est possible, explique le rapport, qui recommande « d’accélérer l’adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques ». 

Il va donc falloir, à la fois, « faire de la gestion de crise », lorsque la sécheresse survient, mais aussi « faire de la prévention de crise, par une stratégie de long terme de maîtrise de l’eau, en utilisant tous les leviers à disposition ». Certaines solutions sont toutefois écartées,  comme la désalinisation de l’eau de mer « trop coûteuse ». Le transfert d’eau du Rhône vers l’Hérault et l’Aude (Aqua Domitia) ne constitue également « pas une piste reproductible ». A contrario, la recharge artificielle des nappes, tout comme la réutilisation d’eaux usées traitées seraient des techniques « à encourager ».

Sur un sujet devenu politiquement très sensible, celui des fameuses « bassines », le rapport propose une « approche pragmatique », se refusant à disqualifier d’emblée ce type de projet honni des défenseurs de l’environnement.

C’est donc une analyse « au cas par cas », à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s’il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves, « de préférence multi-usages », pour lutter contre les feux de forêts par exemple, et « lorsque le service environnemental et économique rendu est positif »


Mais passé cet état des lieux, de grande clarté, c’est en abordant le dyptique « Conclusions-Recommandations » que notre enthousiasme faiblit. Chaque chapitre se clôt sur une « conclusion», avant que ne soient rassemblées en fin de rapport, des « Propositions ». C’est ce dispositif, rituel dans ce type de rapport, qui ne manque pas d’interroger.

On découvre ainsi que la délégation, qui a auditionné quarante experts et élus, n’a entendu… que deux membres d’associations de défense de l’environnement. Ensuite, chacune ou presque des recommandations est contredite, soit par des passages de l’état des lieux qui précède, soit par la réalité du terrain…

• Première proposition : permettre la construction de nouvelles retenues d’eau, de préférence multi-usages, lorsque le service environnemental et économique rendu est positif.

Nonobstant, plus haut, ruinant cette position de principe, il était souligné que :

« Une autre limite aux stratégies d’économies d’eau pour l’irrigation agricole réside dans la manière dont la marge de manœuvre permise par les économies se trouve redéployée. En améliorant le système d’irrigation, on peut mobiliser davantage d’eau pour les plantes à prélèvement égal. La tentation peut alors être de ne pas réduire les prélèvements d’eau mais d’augmenter la surface irriguée. Ce risque est d’autant plus fort qu’avec l’élévation des températures et la modification du régime des précipitations, certaines cultures historiquement non irriguées, comme la vigne dans le Sud-Ouest, qui n’avaient besoin que de l’eau de pluie, ne doivent désormais leur survie qu’à l’installation de dispositifs d’irrigation.»

Deuxième proposition : prioriser les solutions fondées sur la nature dans la gestion du grand cycle de l’eau.

« La gestion de l’eau doit mettre en œuvre en priorité des solutions fondées sur la nature. Cela implique d’aller à l’encontre de la tendance à l’artificialisation des sols, de désimperméabiliser, en particulier en milieu urbain, pour favoriser l’infiltration de l’eau de pluie ou encore apporter de la fraîcheur dans les villes lors des pics de chaleur.»

Sur le terrain le principe du « Zéro artificialisation nette » a suscité une véritable bronca des élus de toute obédience qui ont engagé un bras de fer avec le gouvernement.

• Troisième proposition: accélérer l’adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques.

« L’agriculture est le principal consommateur d’eau, indispensable à la pousse des plantes et à l’abreuvement du bétail. Mais l’adaptation des pratiques au changement climatique est encore trop lente et la transition vers l’agro-écologie doit être accélérée à travers tous les leviers possibles : formation, aides apportées par le premier ou le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), recherche appliquée et expérimentation des nouvelles pratiques (…) »

Concrètement la profession agricole continue à s’opposer à toute force à toute évolution du modèle productiviste dominant et impose ses volontés à tous les gouvernements. Cette politique agricole est « l’éléphant dans la pièce », souligne d’ailleurs Alain Richard dans le rapport.

• Quatrième proposition: augmenter les moyens financiers consacrés à l’eau, en particulier ceux des Agences de l’eau.

L’État prélève chaque année, depuis quinze ans, 300 millions d’euros dans les caisses des Agences de l’eau pour « équilibrer les fonds publics ».

« Les consommations domestiques d’eau potable, sur laquelle les redevances sont assises, sont sollicitées pour financer des domaines de plus en plus variés touchant de plus en plus au grand cycle de l’eau, et de moins en moins à la modernisation des stations d’épuration ou à la modernisation des réseaux de distribution d’eau potable, pourtant vieillissants (…) .

Mais la proposition de loi Richard-Jarretie de compenser le manque à gagner par la création d’une nouvelle taxe, assise sur la taxe d’aménagement départementale, qui aurait du être adoptée en loi de finance rectificative, a sèchement été rejetée par Bercy.

• Cinquième proposition : re-politiser les instances de gouvernance de l’eau.

« Alors que l’eau était gérée directement par les maires dans des syndicats intercommunaux à échelle humaine, les regroupements de structures conduisent à dépolitiser l’eau (…) L’eau n’est plus que rarement une question politique débattue lors des campagnes électorales locales. Le pouvoir est passé du côté des techniciens. »

Un vœu pieux : « (…) la politique de l’eau est dépolitisée et renvoyée à la recherche des meilleurs choix techniques possibles. Les maires des grandes villes, les présidents des grandes intercommunalités ne siègent plus que rarement dans les organismes chargés de (sa) gestion. Ils y délèguent des élus, certes compétents, mais dont le poids politique propre est minime et qui n’ont pas tellement d’autre choix que de suivre les orientations de la technostructure de l’eau. »

• Sixième proposition : encourager la recherche et l’innovation, par exemple dans la réutilisation des eaux usées traitées.

Veolia, Suez et Saur poursuivent depuis une quinzaine d’années avec succès un lobbying opiniâtre pour promouvoir une fuite en avant technologique censée apporter des solutions miracles, sans rien changer aux pratiques délétères qui sont à l’origine de la dégradation croissante de la qualité de la ressource.

• Septième proposition: décentraliser davantage la décision publique sur l’eau et faire confiance aux échelons locaux.

Un nouveau vœu pieux. La macronie méprise les 570 000 élus locaux français. Ce sont désormais les préfets, et surtout les préfets de région, qui ont la haute main sur des politiques publiques revues à l’aune du libéralisme le plus échevelé.

• Huitième proposition: développer une pédagogie de l’eau auprès du grand public.

Plus tôt dans le rapport : « La compréhension des mécanismes de la politique de l’eau, tant dans ses aspects techniques qu’organisationnels est particulièrement ardue. Les SDAGE et les SAGE sont soumis à l’avis du public. Les dossiers d’autorisation au titre de la loi sur l’eau font l’objet d’enquêtes publiques dont les éléments sont mis à disposition de tous sur les sites Internet des préfectures. Mais seuls quelques « initiés » sont capables de maîtriser les nombreux paramètres en jeu. La transparence des procédures ne garantit pas la participation du public et l’appropriation des enjeux à une grande échelle. »


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