Slean, les designers de bureaux post-Covid
Publié le 11 avril 2023 par Emmanuel Lemieux
Une start-up de designers conçoit la bureautique de l’après pandémie. Comment Slean essaie de mettre un supplément d’âme au télétravail.
La Slean équipe : devant, Damien Carrette, Isabelle Py, Nathanaël Désormeaux, derrière, Martin Sauer. ©Gérard Cambon
« Le bureau de demain sera circulaire, hybride, collectif, flexible, partout, durable », théorise un message en boucle sur le site Web de la start-up de design Slean. Quand on s’y aventure, la petite entreprise, elle, constitue une hérésie d’un point de vue énergétique. L’atelier est comme un gigantesque frigo, situé dans le dix-neuvième arrondissement de Paris. Une petite communauté de designers et de commerciaux évolue entre l’atelier, des bureaux en co-working, un petit showroom, un confortable tatami ondulé, et des caissons autoportants modulaires où l’on peut s’isoler, et parler confidentiellement à ses clients. Pour ces derniers, « ce ne sont pas nos créations, mais justement on réfléchit à les améliorer », précise Damien Carrette, designer et cofondateur de Slean. Dans la pépinière industrielle ouverte à tous les vents, se joue l’accompagnement d’une profonde révolution culturelle, celle du travail post-Covid. Peu à peu, de nouveaux mots constellent l’imaginaire comme télétravail, tiers-lieux, quiet-squitting, mass-transit. Le virus a bousculé la donne. Ainsi le second cofondateur et designer, Nathanaël Désormeaux, épuise les charmes du travail pendulaire, et vient dans le XIXe arrondissement, depuis sa Normandie.
Comment ont-ils vécu le confinement, alors que leur petite société amorçait tout juste ? « Comme beaucoup d’entre nous, nous avons dû nous familiariser avec la culture du télétravail », explique Damien Carrette. Sur son site, Slean a produit des petites vidéos tutos d’un ergothérapeute conseillant les bonnes postures devant un écran. « Le Covid n’a pas bousculé le marché d’un seul coup, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la bureautique n’avait pas beaucoup évolué depuis des dizaines d’années. On s’est dit que c’était le bon moment pour mettre un coup de neuf et faire pivoter notre entreprise vers les nouvelles formes de travail », complète le troisième associé depuis 2020, et stratège du marketing, Martin Sauer. « C’est pour cette raison que nous proposons également de reconditionner le mobilier de bureau, ou bien de louer nos produits plutôt que de les vendre. »
Un banal fauteuil de bureau ? Le prélude technique aux nouvelles formes de travail. ©Slean
La bureautique de Slean est loin des mammouths imposants des administrations industrielles et bureaucratiques, que vendait dans une autre vie Martin Sauer chez Manutan. Les pionniers proposeraient plutôt des squelettes élancés, des lieux modulables, des objets réversibles. Ces objets se fondent dans l’intimité des foyers qui ne sont pas toujours des lofts ou des châteaux, ou dans l’utilité temporaire d’un chantier collectif. « Nous avions été formés à la discipline et à la stratégie néo-industrielle des objets en grande série, rappelle Nathanaël ancien élève, comme Damien, de l’école Strate. « À l’époque, on aimait bien dessiner les bagnoles, et finalement on est passé au design de meubles », s’amuse son compère. En 2014, ils fondent leur studio, décomposent les usages, adorent tester de nouveaux matériaux, raconter des histoires d’objets. Ils y voient une « poésie de l’objet industriel ». Que l’époque donc va bousculer.
« Par exemple, le meuble jetable initié par les Suédois, c’est fini », indique Nathanaël. Leur création phare sous bannière Slean est une chaise, qu’elle soit « ergo » ou « flex ». Rien de spectaculaire. « On pense et on part d’une logique de consommer mais mieux, le prix est justifié et explicable », complète Damien. Ainsi, à l’instar des Italiens et des Danois, ces créateurs français ont eux aussi insisté sur l’idée de local, de durable et de beau : « Notre chaise est fabriquée par un chaisier du Pays basque, et nulle autre part ailleurs, même si nous avons mis pas mal de temps à concevoir la chaîne de production », relève Damien. Le temps de fixer deux mantras, zéro déchets et le made in France, l’atelier de Slean a inventé depuis, et financé par kisskissbankbank en partie, une série de micro-bureaux, bureaux « co-work », tables de « collab », tables de « réu », tréteaux, kit essentiels pour le télétravail (réhausseur, clavier et souris)… La nouvelle géographie des tiers-lieux a désormais ses designers.