Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Culture #Edition #Essai #fake news #Médias

Rupert Murdoch, Fécal news

Publié le 27 juin 2023 par

L’essai : L’historien David Colon a exploré la puissance médiatique et politique de « l’homme le plus dangereux du monde » selon Joe Biden. Par Maxime Verner

Un essai par an, et le plus souvent, électrique et passionnant. L’historien David Colon ne chôme pas. Enseignant à Sciences Po, il poursuit sa longue plongée dans les abysses de la manipulation de masse, où règnent les monstres médiatiques. Colon a écrit Propagande, puis Les maîtres de la manipulation, sur le dernier siècle de persuasion de masse, où se bouscule toute une galerie de manipulateurs (d’Edward Bernays, le neveu de Freud auteur  en 1928 Propaganda, le bréviaire de la manipulation de masse, jusqu’à Mark Zuckerberg, dont l’empire a été ébranlé en 2018 par le scandale Cambridge Analytica, en passant par Goebbels, Disney, Lin Biao, l’auteur du Petit livre rouge ou Steve Bannon, liste non exhaustive). Ce dernier qui a mené avec le Tea Party puis l’Alt-Right, la guerre culturelle ayant installé Trump à la Maison Blanche, a parachevé l’œuvre de Murdoch. Qui valait bien une biographie détaillée à lui tout seul. En attendant sa Guerre de l’information (Tallandier) à la rentrée, il faut lire Rupert Murdoch (pas besoin de se gratter la tête pour le titre, la simple mention de ce nom exhale le souffre) paru l’an passé chez le même éditeur. Suivre la trajectoire phénoménale du petit Australien, né en 1931, c’est tenir le fil rouge le plus incandescent qui soit de l’évolution des médias depuis la seconde Guerre mondiale. Fabrication de l’audience, maîtrise de la distribution de l’information, recours au sensationnalisme et aux fake news, débats publics sous pression… Tous les mauvais coups de la guerre de l’information ont été et sont expérimentés par l’empire Murdoch, labo XXL de toutes les manips. La rhétorique de la « stratégie sudiste » qui a permis aux quatre derniers présidents républicains de l’emporter aux États-Unis, le frein puissant des Britanniques à la construction européenne des Britanniques jusqu’au soutien décisif au Brexit, ou la propagande en faveur de la guerre en Irak, les techniques de l’hystérisation politique ( bien avant l’effet des réseaux sociaux), c’est encore et toujours signé Rupert Murdoch. David Colon montre bien comment il en a tiré le plus de profit possible depuis les années 1950.

Tous les mauvais coups de la guerre de l’information ont été et sont expérimentés par l’empire Murdoch, labo XXL de toutes les manips

Son ressort personnel ? La haine viscérale des établis. Dans sa biographie, l’humiliation paternelle tient une bonne place. La pugnacité Murdoch, son appétit pour les coups et la casse sociale, proviendrait de ce sentiment de défaite sociale : assister impuissant à la chute de son père, Keith, influent patron de presse – dont il hérita du prénom et préféra adopter celui de Rupert. L’Etablishment, ses lois écrites et non écrites, mais aussi l’intérêt général, l’ultramilliardaire des médias n’en a cure. En 2023 toujours, c’est en autocrate qu’il dirige son propre empire médiatique mondial à l’instar d’une épicerie familiale. Par téléphone. En montant ses enfants les uns contre les autres. En actionnant le premier le levier de la dette pour piller les médias les plus faibles. News Corp, la maison-mère de ses 800 médias, a pesé jusqu’à 60 milliards de dollars : c’est-à-dire, 60 fois le capital de William Randolph Hearst, l’inspirateur de Citizen Kane, et même 200 fois celui de Joseph Pulitzer. Loin devant Xi Jiping et Poutine, le Président Biden le tient pour le type le plus dangereux du monde.

Pour conquérir le monde, il a fallu que Murdoch transgresse toutes les règles et toutes les réglementations. Celui qu’on surnommait « Rupert le Rouge » à Oxford a viré au capitalisme sans limite dès les années 60. Il ne luttait plus seulement contre les monopoles, il a créé le sien. Méthodiquement. En rachetant un média, il imposait un choix cornélien à toutes ses équipes : se plier au changement ou partir. Nos amis grecs appellent cela « la liberté ou la mort ». Il a su manipuler les faiseurs de roi, les agents d’influence et les banquiers d’affaires. À l’heure où les industriels rachètent pour une bouchée de pain des médias centenaires, l’Australien s’est forgé, lui, une fortune qui a culminé à 23,5 milliards de dollars en 2021. Dans la période pandémique, sa propagande furieuse contre le vaccin du Covid ou les mesures sanitaires « liberticides » était reprise en boucle, chaque jour, par le président américain. Sans oublier les charges climatosceptiques. Saisissant va et vient de la puissance Murdoch : lorsque les présentateurs de Fox News, chaîne murdochienne, demandèrent en direct au président Trump d’allumer l’ampoule de sa chambre à coucher pour vérifier s’il les suivait en direct, la lumière clignota.

Depuis l’apogée trumpienne, la chute de l’Empire s’avère pourtant rapide et comme on tombe de très haut, particulièrement brutale. Qu’importe, Murdoch est dans son monde, et il y reste. Même s’il perd des morceaux, l’Australien est consigné depuis trente-cinq ans, sur la liste des cent plus riches du monde. Le magnat a revendu la partie hollywoodienne de son empire à Disney pour la bagatelle de 71,3 milliards de dollars, et peut encore s’amuser avec le Wall Street Journal et bien sûr Fox News. Si sa chaîne d’information en continu n’en finit plus de perdre son audience de partisans du Tea Party depuis l’invasion du Capitole qui n’aurait certainement pas eu lieu sans l’accès offert par Murdoch à l’antenne aux théories du complot en tous genres depuis 1996, elle n’en demeure pas moins, le centre de gravité du parti Républicain. Murdoch, on en est désormais certain, à 92 ans passés, devrait mourir vissé sur son trône.

 La culture médiatique qu’il aura avili, jusqu’à des points de rupture, tel le fameux « putaclic » de l’industrie internet, doit tout à cette vision murdochienne du monde, de la politique, de l’information et au fond, du citoyen. Il faut divertir le bon peuple et lui parler de ce qui l’intéresse, et aux yeux de Murdoch cela est très limité. En visant bas, il peut penser qu’il a visé juste. Tout est morbide dans l’univers murdochien, mais ce qui restera comme récit ultime de l’individu est une œuvre de fiction, particulièrement féroce : la série Succession (HBO),inspirée de sa dynastie. Sa famille est partagée entre la honte que lui inspire cet avilissement quotidien et sans fin de l’information, devenu un divertissement comme un autre. Dans la série, le patriarche meurt sur la moquette de son jet, à deux pas de ses toilettes dorées. Une mort fécale de tabloïd.

Rupert Murdoch, David Colon, Tallandier, 304 p., 21 €. Paru 15 septembre 2022.

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