Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Cinéma #Culture #Eva Husson

La domestique romancière et les oreilles décollées

Publié le 19 septembre 2023 par

Cinéma. Sur le film Entre les lignes, d’Eva Husson.

Quand je suis mitigée à la sortie d’un film, je sais que je vais soit l’adorer, soit le détester dans les 24h. Avec Entre les lignes, récit de la vie d’une jeune domestique devenue écrivain au fil des drames amoureux de son existence, tiré du joli roman, en français Le dimanche des mères, de Graham Swift (2016), je n’ai pas encore décidé. Mon amour va au casting première classe, avec Josh O’Connor, ma révélation personnelle. Il ressemble tellement à Charles III jeune (quand il était prince charmant) que j’ai à un moment cru à un biopic mais rien de très étonnant à cela, car le beau gosse aux oreilles décollées a joué l’actuel monarque britannique dans the Crown. Comment un homme aux oreilles décollées peut-il être à ce point craquant ? C’est la question que je me pose aujourd’hui. La réponse tient en quelques mots : taches de rousseur, pâleur aristocratique et sourire à tomber. Il y a aussi cet art de fumer avec classe. Selon moi, un acteur se mesure à ça. James Dean, Bogart, ça sait fumer. Le petit O’Connor aussi. Et bien entendu, il y a les oreilles décollées. On n’estimera jamais à leur juste valeur ces défauts qui font paraître un homme irrésistible : grand nez, joues creuses, dents de travers ou en avant, cheveux gris, calvitie monacale, etc. Chez une femme, on fronce le nez, chez un homme, on admire, on adore, on désire. Injuste mais la vie est injuste. Le désir est injuste.

La première bonne chose c’est de m’avoir permis de mater Josh O’Connor, d’autant qu’il est tout nu une grande partie du temps. L’héroïne le dit à un moment en regardant Donald, son autre amoureux, se vêtir (la douceur virile de Sope Dirisu est formidable) : « J’aime voir les hommes s’habiller… » Je plussoie. Ç’aurait presque pu devenir un loisir si je n’avais pas craint d’être taxée de monomanie. Voir un homme s’habiller est presque aussi érotique que le contraire. Cela me conduit à aborder un autre bon point du film : les scènes d’amour et l’amour tout court. Délicat, torride, intense, cet exercice de haute voltige tient ici la route. C’est très joliment montré et d’un érotisme troublant, puisant aux sources du symbole (la fleur d’orchidée, la semence de l’amant, le sang du don précieux de sa fleur, la fraternité tacite entre ceux qui s’aiment, j’ai adoré).

Le casting est réussi, avec la ravissante Odessa Young, seule entorse australienne au casting, préraphaélite en diable au début du film puis acérée en femme de plume qui se cherche, jolie, fine, brouillée, humaine. Et puis, Colin Firth, « Monsieur À fleur de peau » que j’ai eu envie de prendre dans mes bras du début à la fin tant il incarne dans ses tripes cet inconsolable que la mort des fils a brisé, Olivia Colman magnifique en femme éteinte par le chagrin, fébrile sous la douleur, intense, sublime au sens strict car elle incarne la chute. On aurait aimé les voir davantage à l’écran. Ils sont absolument engloutis dans la misère de la perte qui réunit tout le monde, pauvres et riches, beaux et laids. Formidables.

Bémol de taille : les entourloupes esthétiques de Dame Husson. C’est franchement pénible et parfois grotesque. La crinière du cheval volant au vent… m’a donné envie de crier « Help ! » à l’instar des Beatles. Les plans troubles du repas n’apportent rien non plus. Ils sont d’une étonnante grossièreté, tel un doigt pointé qui dirait : « Regarde bien, spectateur stupide, là je te montre que les personnages sont troublés par la situation ! ». Tout était très bien jusqu’alors mais non il a fallu que le tic « cinéma d’auteur » reprenne Eva Husson. On voudrait lui demander de choisir entre tragique victorien et série Netflix.  Pas très grave, j’ai vite oublié car le reste avait l’air de vouloir se faire pardonner. Autre bémol : je ne suis pas certaine que la nudité extrême de Jane et Paul soit toujours justifiée. La scène de la bibliothèque est jolie mais pourquoi faire descendre l’escalier à l’héroïne dans le plus simple appareil ? Dans la bibliothèque, on pense à Eve et l’arbre de la Connaissance. Dans la cuisine, on a envie de crier incidemment « Ma grande, peux-tu mettre une culotte ? » Bon, en même temps, ils sont très agréables à regarder tous les deux, alors je pardonne. La perte de dessous illustre juste, non pas une déroute de la décence mais plutôt une fuite du sens.

Dans la bibliothèque, on pense à Eve et l’arbre de la Connaissance. Dans la cuisine, on a envie de crier incidemment « Ma grande, peux-tu mettre une culotte ? »

Je sais que le montage bizarroïde du film a gêné certains. Cela m’a simplement agacée. Mais, je veux y voir une justification : celle de montrer qu’un écrivain est un être étrange opérant constamment des aller-retours entre passé, présent, avenir et passé, etc. Un être brouillon et paumé. Une fois qu’on a pigé, ça fonctionne. Je suis peu fan de la scène où Jane vieillissante sourit à son moi juvénile. Euh… c’est un peu facile, Mme Husson… Non, franchement dans ces moments-là, ce n’était pas bien. C’est si facile, si ordinaire. Dommage.

J’ai, au moment de me taire, une pensée pour Glenda Jackson, incarnation de Jane au crépuscule de sa carrière. Délicieusement blasée et ronchon, on la voit trop peu et c’est un regret de ce film. Il manque une partie qui aurait pu nous conduire vers la réussite de Jane, son ascension et ses succès. J’aurais aimé assister à ça, à ce vertige de la réussite après celui de la douleur. Nous aurions pu voir un peu plus de deuil, un peu plus de réparation, un peu plus de vie.

Bref, aujourd’hui, malgré mon agacement face aux simagrées de la réalisatrice qui nous prend parfois pour des benêts, j’accorde à ce film le bénéfice du doute amoureux. Il est bourré de défauts mais je l’aime beaucoup. J’aurais réclamé un peu plus de ce goût anglais pour la mort, ce goût qui est élégance, déviance et transfiguration. Mais, Eva Husson, la réalisatrice est française. Une faute de goût que ce casting britannique semble affronter avec la désinvolture crane des natifs de la Perfide Albion. Rien que pour ces beaux acteurs, je décide d’aimer ce film. Aussi pour cette jeune fille qui aimait tant les livres qu’elle décida d’en écrire. Et pour les oreilles décollées de Josh O’ Connor.


Je m'abonne ! Partage Twitter Partage Facebook Imprimer

Laisser un commentaire

Ce site web utilise ses propres cookies et ceux de tiers pour son bon fonctionnement et à des fins d analyse. En cliquant sur le bouton Accepter, vous acceptez l utilisation de ces technologies et le traitement de vos données à ces fins. Vous pouvez consulter notre politique en matière de cookies.   
Privacidad