Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Apocalypse #Joël Schnapp #ours polaire #Religions

Ours polaires et témoins de Jéhovah

Publié le 31 octobre 2023 par

#Chronique. Dernières nouvelles de l’Apocalypse : Elle se niche partout dans notre vie quotidienne et culturelle, intime, amoureuse, sociale et politique. La chronique régulière des indices apocalyptiques, par l’historien Joël Schnapp.

Un ours blanc squatte un village sibérien abandonné. Source image : ©photoreportage La Presse/Dmitry Kokh


Quand bien même sommes-nous plongés, depuis fort longtemps, dans un quotidien bouleversé par les catastrophes et peuplé de créatures maléfiques, il faut savoir se divertir. Parfois, le spécialiste de l’apocalypse quitte ses grimoires poussiéreux, ses antiques prophéties, ses pronostics pour l’année 1532, et se dirige, le samedi matin, vers le marché, mu par une saine motivation : faire ses courses. Ce qu’il n’avoue pas, à son épouse notamment, c’est qu’une des raisons pour lesquelles il met tant d’entrain à se diriger vers ledit marché, c’est qu’il est certain d’y croiser les témoins de Jéhovah et qu’il espère, une fois de plus, les mettre en déroute, pour son plus grand plaisir.

Il se souvient encore de la première fois sur le campus de Göteborg, il y a une quinzaine d’années : son ami grec l’enjoignait de prendre ses jambes à son cou mais rien n’y fit. Il fallait qu’il leur parlât. Non pas de la pluie non pas du beau temps. D’apocalypse.  En quelques minutes, à coups de citations bibliques bien senties, le spécialiste de la fin du monde en devenir avait orienté la conversation vers les dernières tribulations, le katêchon et bien entendu l’Antichrist. Quelques allusions, pas très fines pourtant, avaient suffi à susciter une certaine angoisse chez ses interlocuteurs.  À la longue, la terreur avait fini par prendre le dessus et les témoins avaient décampé, livides, à la grande joie de l’ami grec, qui riait à s’en tenir les côtes. Le spécialiste d’apocalypse avait gagné dans l’histoire un indéniable prestige.

Il en va souvent de même avec les premières fois : on est toujours à la recherche du flash intense qu’on a expérimenté et qu’on espère le reproduire. C’est ainsi que commencent les addictions et c’est précisément ce qui arriva à l’apprenti théologien : désespérer les témoins de Jéhovah était devenu un de ses passe-temps favoris. La technique fonctionnait bien mais n’évoluait guère : souvent pour commencer une référence à Daniel, puis les Evangiles synoptiques, avec une inclination certaine pour Matthieu 24, évidemment la Deuxième Epitre aux Thessaloniciens de Paul et, bien entendu, pour finir Apocalypse 13 et 14, parfois 20 selon l’humeur. Les résultats étaient excellents, mais attendus, ce qui générait évidemment un peu moins de plaisir.

Son interlocuteur, un grand échalas d’une soixantaine d’années, l’apostropha : « Et les ours polaires ? »

Puis la situation changea. Les témoins avaient changé de stratégie et s’étaient mis à travailler de leur côté : ils n’allaient pas se laisser impressionner par le même gugusse tous les samedis matin. Il fallait agir et c’est ce qu’ils firent. Quand le spécialiste de l’Apocalypse arriva, goguenard, vers ses victimes favorites, il les vit lever les yeux au ciel, puis soupirer fermement. Il ne put que s’en réjouir : la matinée promettait d’être bonne ! Pourtant, cette fois, la conversation prit un tour plus particulier : en lieu et place des références habituelles, les témoins parlèrent des cavaliers de l’Apocalypse. Ils lui remontrèrent que la situation du monde correspondait, indubitablement, à la venue des cavaliers, la guerre, c’était celle qui se déroulait en Ukraine, la maladie correspondait au Covid-19, et la famine était à prévoir en Afrique. Cependant, il en fallait plus au chasseur de témoin plus pour être déstabilisé : il leur répondit qu’on pouvait certainement voir dans toutes ces catastrophes un signe de l’arrivée des cavaliers, mais qu’il manquait une condition essentielle : le quatrième cavalier devait provoquer des attaques de bêtes sauvages et le marché ne grouillait pas vraiment d’animaux dangereux. Les voyant dépités, le spécialiste partit, en ricanant, acheter son fromage.

La semaine suivante fut pourtant celle du désastre. Les témoins de Jéhovah rayonnaient à son arrivée. Leur sourire et leur bonne humeur étaient totalement suspects mais le théologien de la fin du monde s’avança bravement. Son interlocuteur, un grand échalas d’une soixantaine d’années, l’apostropha : « Et les ours polaires ? » Lisant l’incompréhension dans les yeux du chercheur, il développa : « Depuis quelques temps, en raison du changement climatique, des ours polaires attaquent des villages de Sibérie : qu’en pensez-vous ? – La Sibérie, c’est loin », para, comme il le put, le spécialiste déstabilisé. « Mais les attaques de squales sur les bateaux, l’été dernier et les rues de Rome envahies par les sangliers, ça ne vous rappelle pas les attaques de bêtes sauvages ? ». Pris de cours, ne sachant plus quelle écriture invoquer, le spécialiste de l’apocalypse bredouilla on ne sait trop quoi et dut battre en retraite. Depuis, on raconte qu’il évite le marché comme la peste, se défile dès qu’on aborde le moindre point de théologie et surtout, redoute l’arrivée des ours polaires à Thonon-les-Bains.

Joël Schnapp est historien et auteur de Chroniques de l’Anti-Christ (Piranha éditions).


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