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Les Influences

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#Algérie #Antisémitisme #Colonisation #Histoire #Islam #Judaïsme

Mohamed El Maadi, ultranationaliste, collaborationniste pro-nazi et déclencheur de pogroms

Publié le 6 novembre 2023 par

L’idée : Dans Le Provocateur (Payot), étude des sanglantes émeutes antijuives de Constantine en août 1934, l’historien Joshua Cole éclaire les zones d’ombre et les impensés du système colonial français, mais aussi les agissements criminels d’un semeur de troubles jusqu’ici inconnu. Magistral.

Détail d’émeutes antijuives dans la rue Nationale incendiée, Constantine (Algérie), le 5 août 1934. Source : éditions Payot-Joshua Cole/ Archives du Musée d’art et d’histoire du judaïsme.


Une photo charbonneuse, extirpée des Archives nationales. La carrure d’un fantôme brutal, assez satisfait de lui-même, au milieu d’autres convives, dans un restaurant de la rue de la Huchette, quartier latin parisien. Un déjeuner durant la période 1942-1943. L’historien Joshua Cole (université du Michigan) l’a repéré dans un flux d’archives. Mohamed El Maadi, c’est son nom, est le personnage central d’un récit détaillé sur des événements troubles et volontairement troublés dans l’Algérie des années Trente. Du 3 au 5 août 1934, la ville de Constantine vécut trois jours d’émeutes qui opposèrent communautés juive et musulmane, ces journées occasionnèrent vingt-huit morts (dont vingt-cinq de confession juive). La plus jeune avait trois ans, et fut égorgée. Il s’agit là des violences antisémites les plus meurtrières dans l’histoire contemporaine de la France en temps de paix. Ces meurtres constitueront un tournant dans une histoire qui aboutira au départ des Juifs d’Algérie en 1962. Ce pogrom français est-il le seul fait de l’antisémitisme musulman ? Pas seulement, répond l’auteur qui ne l’exonère pas, mais montre et démontre également comment l’incendie a pris dans un contexte colonial et le jeu politique particulièrement alambiqué des notables locaux toutes communautés confondues.

Dans la première partie, minutieuse, prudente, luxueuse de détails sensibles, l’historien déroule en effet la longue évolution de la citoyenneté française attribuée aux juifs d’Algérie (loi Crémieux notamment), et la plus chaotique situation juridique des « sujets » musulmans. On replonge dans le Constantine des années Trente, pétrie d’ambitions locales et de concurrences communautaires, colons, colons européens, juifs et arabes. « Cette évolution, soutient Cole, a produit l’errance existentielle des musulmans algériens pendant la colonisation, mais aussi une funeste ambiguïté au cœur même de la citoyenneté israélite en Algérie – cette forme de citoyenneté ayant pour effet que les marqueurs de leur différence, loin d’être effacés, se trouvent renforcés. Membres d’une minorité visible et vulnérable, les dirigeants juifs locaux sont amenés à solliciter la protection des autorités mêmes qui s’efforcent de priver les musulmans de leurs droits civils. » Mais rien n’est simple. Les musulmans eux mêmes rechignent à se voir imposer un consistoire à l’instar des juifs. Ceux qui mènent la danse sont, principalement, les élus dynastiques de colons. On voit malgré tout poindre ici et là, des figures locales de politiques juifs et arabes ou de mouvements (tel celui des Jeunes-Arabes, calqué sur l’exemple des Jeunes-Turcs). Toutes ces années, l’antisémitisme a pu servir d’argument électoraliste, volontiers entretenu par les ligues d’anciens combattants et de nationalistes, sans oublier le cynisme du maire et de députés, pointe l’historien, mais sans qu’il ne parvienne à constituer un élément déterminant d’élection. Un climat et une culture antisémite se sont néanmoins installés à Constantine, comme en Algérie et en France, et il y eût bien en acmé de cette ambiance, les jours sanglants d’août 1934.

Il ne manquait plus que l’homme-allumette, Mohamed El Maadi. Sa biographie est particulièrement chargée pour un historien. Il est à l’époque des faits, un soldat basé à Constantine, et un militant ultranationaliste, imprégné de l’imaginaire des Croix-de-feu. En croisant des sources, notamment policières, jusqu’ici peu exploitées, et encore moins rapprochées, Joshua Cole émet l’hypothèse d’une petite équipe de cinq « conspirateurs » qui a soufflé sur les braises, et même assassiné. Cole leur impute vingt assassinats de juifs sur les vingt-cinq commis. El Maadi en tête. L’étincelle qui aurait tout enflammé serait une altercation entre un soldat d’origine juive qui, revenant chez lui, aurait critiqué des fidèles de la mosquée voisine parce qu’ils pratiquaient leurs ablutions au regard des enfants et des femmes de l’immeuble. Le ton a rapidement monté, alimenté par la rumeur et les échauffements de la rue. Les rapports de police proposent toute une variété de témoignages sur le motif et la réception des faits. Mais le drame, lui, a débordé d’une banale altercation de voisinage. Mais quel était l’objectif de cette équipe et de ceux qui ont théorisé dans le mois d’août 1934 à Constantine ? Selon l’historien, bloquer définitivement la perspective d’un accès des musulmans à la vie politique locale, et contenir la citoyenneté des juifs par l’augmentation de la haine antisémite. Pour El Maadi, ces émeutes pouvaient être l’occasion d’entretisser des liens de haine antisémite entre musulmans algériens et extrémistes français.

La police cible rapidement une « bande d’égorgeurs ». Repéré dans leur rapport par la police constantinoise, l’ombre de Mohamed El Maadi s’est pourtant faufilée hors de l’enquête.  » Des preuves circonstancielles indiquent que le rôle de Mohamed El Maadi a été occulté à quatre niveaux au moins: l’armée, la police, l’etablishment politique local à Constantine et les services du gouverneur général à Alger », avance l’auteur. Ainsi El Maadi semble avoir été très rapidement exfiltré d’Algérie pour séjourner durant six mois dans une station thermale. Officiellement, pour suivre un « traitement hydrominéral » consécutive à une chute de cheval survenu en 1927. Rien sur ses états de service de la blessure réelle, soit une « éraflure causée par une balle tirée chez les Attali au moment où avaient lieu les meurtres ». Cole a retrouvé le nom du provocateur en 1938, dans un rapport d’enquête, en France, sur un meurtre perpétré par la Cagoule. Ex-Action française, il est depuis les années trente, membre du Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), à l’origine d’une série d’attentats à la bombe et d’assassinats en France, en 1937 et 1938. Maadi a été détenu durant dix mois. Mais c’est sous l’Occupation qu’il manifestera tout son enthousiasme collaborationniste pour les nazis, et se déchaînera aussi comme propagandiste antisémite aux ordres de Vichy. Il devient agent de la Gestapo à Paris, directeur de publication du journal Er Rachid ( plus de 50 000 exemplaires) financé par l’Abwer en direction d’un lectorat arabe, puis est nommé capitaine dans la SS à la fin de la guerre, commandant une brigade nord-africaine de près de 300 Algériens destinée à combattre les résistants, après le Débarquement. Il rejoint Berlin, échappe à toutes les polices. Le provocateur meurt au Caire fin 1953. Atteint d’un cancer à la gorge, avec un bout de mâchoire en moins, Mohamed El Maadi, sous le faux nom de Mustapha Bachir Meadi, aimantait malgré tout, de sa gouaille et de sa biographie très arrangée, les milieux nationalistes, algériens cette fois.

Le Provocateur. L’histoire secrète des émeutes antijuives de Constantine (août 1934), Joshua Cole (traduit de l’anglais États-Unis par Patrick Hersant), Payot, 412 p., 30€. Paru octobre 2023.


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