Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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La conspiration selon Sylvie Taussig

Publié le 1 juin 2021 par

L’idée : Le complotisme, décrit par la chercheuse du CNRS, répondrait à la Schadenfeude ou jubilation devant la catastrophe.


Le conspirationnisme ou complotisme est désormais une véritable industrie de la recherche scientifique. Des tonnes d’ouvrages le cernent et le dénoncent, le plus souvent à peu de frais. Dans un court essai, Sylvie Taussig, chercheuse au CNRS et prolifique essayiste des questions religieuses, tente de se frayer un chemin un peu original au milieu d’une cartographie des savoirs déjà très maillée. Le Système du complotisme ne déconcertera pas celles et ceux qui lisent notamment les contributions régulières de l’auteure pour Les Influences. Ce qui l’intéresse particulièrement ici est la description des mécanismes intellectuels producteurs de complots. Elle écarte ainsi la généralisation de l’idée paresseuse (et très conspirationniste des anti-conspirationnistes) d’ «un complot mondial de diffusion du complotisme pour saper la démocratie ». Ce phénomène, selon elle, aurait plutôt à voir avec la mondialisation, et notamment « une mondialisation des spiritualités, des causes et des croisades ». Il ne serait pas uniquement attaché à l’Occident, mais se constituerait en une grande variété de combinaisons d’ « éléments de culture locale et d’éléments déculturés ». Les petites et petits Alain Soral, sans oublier les adeptes de Qannon, se repèrent un peu partout sur la planète, même si le livre se concentre particulièrement sur les effets dans le monde occidental et cet exosquelette de la diffusion de masse qu’est Internet. Spectaculaire : la raison cartésienne qui a surgi dans les convulsions d’un XVIIe siècle tourmenté et furieusement mystique est considérée comme un virus des puissants que le conspirationnisme tord et détourne par des moyens rhétoriques pour affaiblir sa puissance. Sylvie Taussig décrit aussi la biopolitique d’un Michel Foucault ou les textes d’un Guy Debord volontiers « abâtardis » et dérivés par les tritureurs de complots. Car l’une des victimes collatérales de l’esprit complotiste est la pensée critique qu’il a littéralement vampirisé, qu’il « revendique comme sa principale caractéristique ». Surtout, le complotisme puise sa puissance rhétorique et narrative dans la passion de la peur, ou Schadenfeude, soit la jubilation devant la catastrophe. Le conspirationnisme transitoire des adolescents y puisera sans doute son émerveillement de pop culture comme l’a très bien expliqué le psychanalyste Julien Cueille, mais celui des adultes et des militants y forgent plus sûrement leurs outils de conviction.

Sylvie Taussig aiguise des questions et déploie ses suggestions sur le complotisme et sa politisation (pourquoi l’extrême droite et l’extrême gauche y trouvent leur compte et pourquoi un conspirationniste n’est pas un humaniste), son nihilisme apparent ( « Le conspirationnisme construit comme une essence stable des réalités qui ne le sont pas et ne sauraient l’être »), et ses influences profondes. Dense, pas toujours très claire, mais avec une curiosité entraînante qui fait son charme d’exploratrice dans la jungle des concepts, Sylvie Taussig connecte par exemple, hypothèse forte et convaincante du livre, le complotisme à l’héritage de la gnose, dans sa version du XXe siècle de « la mort de Dieu». « La matrice conspirationniste est indissociable de la vision du monde gnostique », affirme-t-elle. Cette structure de pensée impliquerait un monde créé par une puissance mauvaise, et face au Mal, une connaissance (la gnose) qui le contrebalancerait à travers un petit groupe de sauveurs sachants. Même dans les sociétés sécularisées et libérales, techniques et numériques, le conspirationnisme contemporain continue d’identifier à plein le pouvoir au diable, « comme un miroir inverse des formes ultra-optimistes de l’époque ».

Le Système du complotisme, Sylvie Taussig, Bouquins, 188 p., 18 €. Paru mai 2021.


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