Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Education #Images #Religions #Société

Histoire de l’Art : « Respecter les étudiants c’est d’abord leur garantir un enseignement libre »

Publié le 5 février 2023 par

Point de Vue : Historien de l’art et écrivain, Bruno Nassim Aboudrar réagit à la décision de l’université Hamline, révoquant une enseignante pour avoir «offusqué» une étudiante avec une représentation du Prophète, datant du XIVe siècle.


Par Bruno Nassim Aboudrar / Les Influences

Les instances dirigeantes de l’université Hamline (Saint Paul, Minnesota) ont mis fin au contrat d’enseignement d’une chargée de cours en histoire de l’art, Érika Lopez Prater. Sa faute ? avoir montré en cours une très fameuse et très importante image persane du XIVe siècle représentant la visite de l’archange Gabriel au Prophète Muhammad (Image ci-dessous). Convaincue que les images du Prophète sont illicites, une étudiante s’est sentie personnellement offensée. La suite est connue : plainte à une association d’étudiant.e.s, soutien, décision de l’université motivée par sa présidente, Fayneese Miller : « Le respect pour les étudiants observant la foi musulmane dans cette classe aurait dû supplanter la liberté d’enseignement » (cité par le New York Time). Laissons, pour une fois, la question musulmane qui, au fond, n’est pas centrale dans l’affaire, pour mieux mesurer la portée effarante de la recommandation académique.

Muhammad recevant les révélations coraniques de l’ange Gabriel. Extrait d’une copie de l’Histoire universelle (Jâmi’ al-Tawârikh) du vizir Rashîd al-Dîn, (Iran, au début du XIVe siècle).

D’abord, elle met en balance un principe unique et clair, la liberté d’enseignement, véritable fondation de l’université, avec une nébuleuse confuse, les croyances, les représentations, les sensibilités de chacun. Autant le principe de liberté d’enseignement peut se mesurer au respect dû aux étudiants – à vrai dire, ils vont de pair : respecter les étudiants c’est d’abord leur garantir un enseignement libre -, autant cette liberté ne se laisse pas subordonner aux observances des uns et des autres.

Pour ne pas offusquer une individualité, « les hautes instances universitaires ont déclaré que la liberté est une faculté professorale de produire du fake.»

B.N.A

Mais, dans le cas qui nous occupe, est-ce bien la liberté d’enseignement qui est en jeu ? La présidente de l’université Hamline considère apparemment que la liberté s’exerce à l’endroit du fait enseigné. L’historienne de l’art aurait eu le choix d’escamoter l’existence de représentations du Prophète dans l’iconographie musulmane du XIVe siècle, ou de rendre celle-ci manifeste. Elle aurait pris la mauvaise décision. Comme s’il dépendait de l’enseignante qu’une image existât ou pas, selon qu’elle fût plus ou moins conforme à la sensibilité actuelle de son auditoire. Autrement dit, les plus hautes instances de l’université, au lieu défendre le principe qui la fonde, à savoir que la liberté d’enseignement est organiquement liée à la vérité, et notamment à la factualité, de ce qui est enseigné, le pervertissent, et déclarent que la liberté est une faculté professorale de produire du fake.

Ce débat nous concerne, car les faits sont parfois durs à accepter. On peut, après tout, trouver déplaisant de recevoir la preuve par l’image que des autorités religieuses furent assez impies pour admettre des images du Prophète. On peut aussi trouver déplaisant que les armées coloniales ont multiplié les massacres partout où elles ont sévi, désagréable que d’innombrables nazis ont occupé de belles positions sociales en RFA sans jamais avoir à répondre de leurs crimes, gênant que les goumiers marocains du général Juin ont violé et tué en Ciocciara alors qu’ils libéraient l’Italie, impudique que la reproduction humaine soit sexuée, etc. Et les pressions politiques ne manquent pas pour réclamer une histoire mieux conforme aux récits nationaux, une science plus respectueuse de l’innocence enfantine. La liberté d’enseignement n’est pas moins menacée chez nous qu’à Saint Paul, Minnesota. Et plus que jamais à défendre, car c’est son exercice rigoureux qui distinguera à l’avenir un enseignant d’une machine programmée

À lire de Bruno Nassim Aboudrar, Les Dessins de la colère, Flammarion, 2021.

Je m'abonne ! Partage Twitter Partage Facebook Imprimer

Laisser un commentaire

Ce site web utilise ses propres cookies et ceux de tiers pour son bon fonctionnement et à des fins d analyse. En cliquant sur le bouton Accepter, vous acceptez l utilisation de ces technologies et le traitement de vos données à ces fins. Vous pouvez consulter notre politique en matière de cookies.   
Privacidad