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Alban Cerisier, l’archiviste activiste de Gallimard

Publié le 4 mars 2021 par

NOTRE SÉRIE LA VIE COVID : Comment les professions intellectuelles subissent et inventent depuis mars 2020 ? Durant le grand confinement, il a quasiment pris les manettes de Gallimard. Avec ses « Tracts de crise », Alban Cerisier a été l’éditeur de l’année.


Alban Cerisier, Paris, février 2020. © Olivier Roller pour Les Influences.

Le 17 mars 2020, tout un groupe d’édition est parti se confiner. Tout ? Pas tout à fait. Alban Cerisier a été l’un des éditeurs les plus actifs de la place désertée de Paris, si ce n’est le seul. Les Cameron refroidissaient, le papier se stockait, les livres s’accumulaient contenus derrière la digue, mais le ludion de Gallimard a su remuer ciel et terre. Il a pris d’assaut le site Web de Gallimard et créé sur les chapeaux de roue son petit média : « Tracts de crise ». L’édition numérique en accès libre et gratuit remplaçait le commerce des livres. 27 000 lecteurs téléchargeaient, tous les jours de la semaine, ces textes sur le vif, et les répercutaient sur leurs propres réseaux sociaux.

Une opération habile qui à la fois montrait, malgré tout, la puissance d’influence de Gallimard, sachant mobiliser des dizaines d’écrivains, de chroniqueurs et de penseurs en ces temps de crise, et scandait les variations de la pensée et des mentalités au fil des jours. À peine déconfiné, l’éditeur a publié, le 4 juin, l’ensemble des textes en un gros recueil à statut historique. Ce qui était accessible sur écran devient sacré et encore plus crédible sur papier imprimé.

De l’actu à l’histoire : Alban Cerisier connaît très bien ces ressorts, lui qui est depuis un quart de siècle l’archiviste de Gallimard. Une fonction unique dans l’édition française. C’est en plongeant dans la mémoire de l’éditeur que le chartiste a eu l’idée de réactiver la collection « Tracts » créée dans les années 1930. Celle-là même qui a produit des classiques comme Retour d’URSS d’André Gide, Avertissement à l’Europe de Thomas Mann ou encore Refus d’obéissance de Jean Giono. Avec Tracts 2.0, ses collègues du futur auront du grain à moudre.

Tracts de crise. Un virus et des hommes (18 mars-11 mai 2020), Alban Cerisier (dir.), Gallimard, 272 p., 18,50 €. Des textes publiés à chaud sur le site de l’éditeur et mis en recueil pour l’histoire.

Debriefing. « Une nouveauté dans le paysage éditorial »

Comment avez-vous décidé et monté la logistique « Tracts de crise » ?
ALBAN CERISIER : Au premier jour du confinement, nous nous sommes dit que « Tracts » ne pouvait rester muet dans cette circonstance exceptionnelle qui créerait, selon toute vraisemblance, un grand besoin de débat et d’expression. Et nous nous sommes sentis un peu obligés à l’égard des auteurs, des libraires, des bibliothécaires et des lecteurs d’imaginer quelque chose qui puisse maintenir ce lien éditorial brutalement défait. La formule de « Tracts de crise » s’est imposée d’elle-même, sous l’effet de la contrainte autant que par l’inventaire de nos moyens. Il se trouve que je dirige la société numérique Eden Livres, filiale pour partie de Gallimard ; je savais que nous disposions déjà des outils numériques pour pouvoir déployer rapidement une solution permettant de diffuser un avatar de « Tracts » en période de confinement : des petits livres numériques (6-7 000 signes environ et en moyenne) offerts chaque jour, et diffusés soit par abonnement via e-mail, soit sur les sites des libraires. Les textes ont d’abord été demandés aux auteurs de « Tracts » ou que nous savions proches de la collection, avant que la communauté ne s’étende à d’autres, avec l’aide des éditeurs de la Maison. Et je dois dire que nous avons été extrêmement frappés par l’adhésion immédiate des auteurs, mais aussi des lecteurs, des libraires, des bibliothécaires qui ont très activement relayé l’initiative ! Les journalistes aussi, qui ont rendu compte abondamment de ces textes. C’est une expérience éditoriale passionnante et vraiment inédite pour ce qui me concerne. Une nouvelle façon de faire de l’édition, avec des textes variés dans leur expression et leur intention, avec pour seul point commun la circonstance… J’ai voulu varier les axes, les genres, j’ai cherché aussi à éviter les redites – le plus grand péril, tant l’expérience est extraordinaire mais commune. Résultats : 27 000 abonnés en deux mois et de très nombreux téléchargements quotidiens – les textes continuant encore à être téléchargés actuellement sur le site web de « Tracts » comme sur les sites de librairies. Sans compter la circulation spontanée de ces textes, hors de notre contrôle (réseaux sociaux, mails entre lecteurs, etc.).

Une alchimie éditoriale qui ne doit rien, mais vraiment rien de rien, à un plan marketing.

Quels sont les textes qui ont été les plus téléchargés ?
A.C. : Les « Tracts de crise » d’Étienne Klein (environ 40 000 exemplaires), Sylvain Tesson (idem), Régis Debray, Erri de Luca, Cynthia Fleury, Adèle Van Reeth, Annie Ernaux, Johann Chapoutot, Gaspard Koening, Thomas Snégaroff, Alain Badiou, Erik Orsenna, Pierre Bergounioux, Alessandro Baricco… Un bel accueil aussi des tracts de Jean-Paul Demoule sur la préhistoire du confinement ; ainsi que pour les magnifiques textes de Nancy Huston, Frédéric Boyer, Catherine Cusset…
Le texte méconnu d’Albert Camus, aussi,  Exhortation aux médecins de la Peste, issu des archives de La Peste, a fait partie des meilleures ventes.On estime aujourd’hui à environ 800 000 téléchargements des textes au total.

La Covid a t-elle transformé la collection ? 
A.C. : Oui, l’objet et la forme « Tracts » constituent une nouveauté dans le paysage éditorial et il est difficile d’anticiper ses évolutions proprio motu. Nous découvrons les choses en avançant ; et il faut éditer en tremblant ! Mais nous avons quelques idées… Ce qui est sûr, c’est que nous allons continuer à publier, quand le besoin s’en fera sentir, des textes purement numériques en complément des « Tracts » imprimés, sous l’appellation « Tracts en ligne ». Ce seront des textes courts. La publication du texte de Régis Debray, Alignez-vous !, la veille de l’Independence Day en a été l’illustration. On a donc l’impression que les choses continuent à prendre, selon une alchimie éditoriale qui ne doit rien, mais vraiment rien de rien, à un plan marketing.

À lire également sur notre site : la chaîne LCP et l’Assemblée nationale (5 épisodes) à l’heure du grand confinement.

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2 commentaires sur “Alban Cerisier, l’archiviste activiste de Gallimard

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